Peu d'expressions sont aussi porteuses de sens que celle de «moratoire d'une génération», adoptée par des militants pour anoblir leur lutte en lui donnant une résonance historique. Il y a un an, la Marche du moratoire d'une génération officialisait ce baptême et validait leur objectif, celui de bloquer l'exploitation des énergies fossiles, surtout le gaz de schiste.

La mise en place par l'État québécois d'un comité a, de fait, imposé un quasi-moratoire sur les activités de cette industrie - moratoires et comités vont toujours de pair...

Depuis, tout le monde agite ce mot devenu un grigri destiné à protéger contre tout ce qui bouge. Ou menace de bouger. Le moratoire d'une génération a enfanté une Génération Moratoire. La revendication par les étudiants d'un moratoire (le temps que se prononce un... comité!) sur la hausse des droits de scolarité n'en est que la plus récente manifestation. La CLASSE va même plus loin: une fois qu'on aura ainsi appuyé sur «pause», pourquoi ne pas geler aussi les salaires et l'embauche des cadres universitaires ainsi que la construction de campus satellites?

Cette stratégie de la paralysie instantanée vaut pour les petites causes comme pour les grandes. Outremont ordonne un moratoire sur les processions, François Legault en propose un sur l'avenir du Québec.

La liste, même non exhaustive, des moratoires réclamés ou imposés au Québec depuis douze mois est impressionnante.

Il faudrait cesser (ou ne pas entreprendre) de donner des cours d'anglais intensif. D'extraire de l'uranium. De délivrer des permis de transport adapté. D'installer des compteurs intelligents. D'utiliser des OGM. De taxer davantage les automobilistes. De réformer les institutions financières. De développer, d'élargir ou de prolonger toute autoroute. De construire quoi que ce soit, surtout si un promoteur - ah, ah! un promoteur! - reluque un milieu humide pour ce faire...

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Tout cela est recensé ici sur un ton léger. Et sans porter de jugement sur les causes prises une à une: presque toutes sont plaidables, en effet, à la condition de ne pas considérer le portrait d'ensemble.

Or, c'est celui-ci qui fait problème.

On a beaucoup parlé d'immobilisme depuis quelques années. Aujourd'hui, le terme est un peu tombé en désuétude, mais la réalité qu'il décrit n'a pas beaucoup changé. Moratoire est synonyme d'immobilité. De statu quo. Ou même de statu quo ante, expression surtout utilisée par les syndicalistes qui ont des lettres et réclament le retour à une situation passée. Or, il n'existe pas de remède miracle à une pathologie comme celle-là. Laquelle, de surcroît, se drape souvent dans le manteau du progressisme alors qu'elle répond à la définition même du conservatisme réactionnaire.

Cela démontre encore une fois que s'arracher au passé est une tâche herculéenne, douloureuse, à laquelle le Québec hésite toujours à se consacrer.