La vague actuelle de contestation étudiante a débuté par un différend sur la facture des services rendus par les collèges et universités. Mais la lutte s'est élargie et on voit le fond de sauce remonter à la surface: c'est le «système» que les radicaux combattent de plus en plus ouvertement.

C'est, il faut bien le dire, d'une extraordinaire banalité.

Ainsi, la pancarte peut-être la plus signifiante aperçue dans les manifs appelle tout bonnement à une représentation supplémentaire de mai 68. Rappelons que cette contestation mythique a débuté à Nanterre sur une question d'accès des garçons au dortoir des filles - ce qui a tout de même plus de panache qu'une vulgaire histoire de fric!

Mais, évidemment, ce n'est pas ce à quoi on se réfère. C'est à la dimension spectaculaire de l'événement. Barricades et pavés (ou fac-similés: les pavés sont rares à Montréal). Folklore guévarien et slogans-choc (le «printemps érable», c'est joli, bien qu'offensant pour ceux que tue pour vrai la brutalité militaire).

Chacun sait très bien que... ça ne changera pas le monde.

Aucune importance.

L'essentiel est dans la poésie du geste. Dans la beauté de la pièce sans cesse reprise de la colère du juste et de la révolte du faible. Sur ces planches, chacun peut jouer le Gavroche enjoué d'Hugo ou le sombre Souvarine de Zola, selon son humeur. «La jeunesse est un carnaval où l'on s'échange sans cesse les rôles les plus piquants», écrit Carl Bergeron dans l'ouvrage qu'il consacre à Denys Arcand (Un cynique chez les lyriques).

À 20 ans, la vie rêvée, c'est la révolution permanente.

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Il est normal qu'il en soit ainsi: c'est programmé génétiquement.

La responsabilité de la société consiste à s'assurer qu'il n'y ait pas trop de casse. Pas trop de coups et blessures. «La révolution, c'est pas une raison pour se faire mal», entendrait-on aujourd'hui dans un remake de La guerre des tuques!

Est cependant plus intrigant le fait que la doctrine de la poésie du geste ait gagné tant de faveur, autant sur les catwalks de la haute couture intellectuelle qu'au rayon de la confection médiatique. Remercions-en surtout Stéphane Hessel, un vieux monsieur très digne, dont le micro-pamphlet devenu méga-succès, Indignez-vous! , décrit bien l'affaire: l'important se trouve dans l'indignation elle-même, non dans son objet.

Certes, cette posture a elle aussi un certain panache.

Mais elle a le démérite d'occulter une vérité toute simple. Aujourd'hui, dans une société avancée, le gouvernement en place fut-il une carpette et quelle que soit la violence déployée, la rue n'arrivera jamais à renverser le «système».

Maintenant, la situation ayant dégénéré, quelqu'un va finir par se faire vraiment mal. Il vaudrait mieux suspendre pour un temps la poésie, le théâtre, la collection printemps, tout ça.