En elle-même, la prise de position est à ce point évidente qu'elle n'aurait dû soulever que fort peu d'intérêt. Mais il s'agit d'une fatwa émise par 34 imams, surtout canadiens, ce qui modifie la perspective. À la suite de l'affaire Shafia, ces imams ont en effet tenu à dissocier l'islam des crimes dits d'honneur, de la violence domestique, de la maltraitance des enfants, de la misogynie.

Depuis samedi, cette fatwa a presque fait le tour du monde.

On a souvent reproché aux porte-parole de l'islam de ne pas dénoncer suffisamment la violence lorsqu'elle sévit, soit au nom de leur religion, soit dans les rangs de ses fidèles. Or, les imams ont cette fois réagi rapidement et sans équivoque. Pour eux, ce n'est peut-être pas toujours facile. L'imam de Calgary qui a initié le projet de fatwa, le fondateur du Conseil suprême islamique du Canada, Syed Soharwady, a en effet reçu des menaces après avoir lancé cet appel à la non-violence...

L'édit rappelle en outre que la violence domestique, y compris sous la forme du crime dit d'honneur, est un phénomène sans lien exclusif avec l'une ou l'autre religion.

C'est exact. Les racines de cette terrible expression de domination et de mépris sont non pas religieuses, mais culturelles. Cependant, il est tout aussi exact que ce crime peut trouver une justification dans la foi, en particulier islamique.

Dans les faits, de la trentaine de pays où sévit le crime dit d'honneur de façon importante, les trois quarts abritent une population totalement ou majoritairement musulmane. Le statut de la femme dans le monde islamique, en particulier arabe, est lourdement déficient, comme l'ont souligné depuis dix ans les rapports de l'ONU sur le développement humain, rédigés par des intellectuels arabes. En Europe, l'incidence du crime dit d'honneur est en augmentation, de sorte qu'au moins quatre pays, Belgique, Pays-Bas, Royaume-Uni et Suède, planifient ou ont déjà mis en place toute une gamme d'actions spécifiques, de l'information aux immigrants à la spécialisation policière.

Ici, il y a eu de douloureux précédents, certes: au moins 13 victimes depuis 1999, avant les sacrifiées de Kingston. Mais cet assassinat de trois adolescentes et d'une épouse de Mohammad Shafia a eu l'effet d'une secousse sismique dans une société qui n'avait jamais pris ce phénomène vraiment au sérieux.

Tout cela rend la fatwa des imams canadiens d'autant plus nécessaire qu'elle provient de leaders que l'on présume influents dans leur communauté de croyants.