Trois accusés, neuf verdicts possibles, une preuve uniquement circonstancielle, 58 témoins s'exprimant en plusieurs langues... Malgré cette complexité, le jury de Kingston aura pris à peine 15 heures pour trancher. Les Shafia père, mère et fils ont bel et bien planifié puis procédé à l'assassinat des trois adolescentes de cette famille d'origine afghane ainsi que de Rona Amir, l'autre épouse de l'homme.

Sauf pourvoi en appel, la plus retentissante affaire de crimes dits d'honneur à être survenue au Canada est réglée.

Certes, la thèse de l'accident était à sa face même extravagante. Mais les jurés sont souvent imprévisibles. Or, de toute évidence, ceux-là ont rapidement écarté tout doute raisonnable. Ils n'ont pas cru le premier mot des explications alambiquées concoctées par la défense, ni les protestations d'innocence des accusés (les parents, Mohammad Shafia et Tooba Yahya, ont témoigné; pas leur fils, Hamed).

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Dans certaines cultures, «le corps de la femme est dépositaire de l'honneur de la famille» a témoigné la professeure Shahrzad Mojab pendant le procès. Et «le déshonneur se lave dans le sang»...

Au Canada, on a sacrifié depuis 1999 une douzaine de victimes à ce code «tordu», un mot qu'a employé le juge Robert Maranger, hier. L'une d'elles est Aqsa Parvez, 16 ans, d'origine pakistanaise, tuée en 2007 par sa famille parce qu'elle refusait de porter le voile islamique. Les adolescentes Shafia (Zainab, Sahar et Geeti), d'origine afghane, aspiraient elles aussi à se libérer d'un carcan à la fois culturel, religieux et profondément misogyne.

On les a sacrifiées.

C'est évidemment d'une ahurissante et dangereuse absurdité que de considérer le crime dit d'honneur comme de la violence conjugale «ordinaire».

Rien à voir.

Ce type de crime est prémédité, souvent collectif. Il est accepté, sinon dicté et même loué, par la famille et l'entourage. Il tue exclusivement des femmes, alors que la violence conjugale courante a tué 38 hommes entre 2000 et 2009 au Québec. Il est un produit d'importation dont l'occurrence est en augmentation, alors que le taux d'homicide conjugal a diminué de 26% au cours de la même période*.

Comment protéger celles qui, dans le futur, seront en danger?

Un premier pas sera d'enquêter en profondeur sur la timidité apparente des interventions policières, sociales, scolaires, auprès de la famille Shafia avant le drame. Si les incessants prêches bien-pensants des dernières années sur le relativisme culturel ont bel et bien tétanisé les intervenants, il faudra réviser le discours. Rappeler le devoir de protection qu'ont les différentes agences concernées.

Et rappeler que cette protection doit couvrir tous et toutes, sans égard à la religion, à l'origine nationale ou à la couleur de la peau.

*Données de l'Institut national de santé publique du Québec.