La fille de l'épicier. Est-ce le titre d'un vieux film de Pagnol? Pas du tout. La fille d'un petit épicier de l'Angleterre profonde, c'est Margaret Thatcher. Et la «Sacoche» (The Handbag, surnom que son entourage employait avec morgue), c'est Thatcher aussi... et non pas l'objet fétiche de l'ex-ministre Monique Jérôme-Forget!

Cela pour dire ceci. D'origine modeste, conservatrice et femme libre, la Dame de fer n'eut jamais droit, même au sommet de sa puissance, à la considération des milieux que ses attributs offensaient.

Quels milieux? À peu près tous, sauf celui des petites gens.

La bourgeoisie de famille ou de fonction, qui n'admet pas les filles d'épicier. L'opinion dite éclairée, au sein de laquelle même les conservateurs jugent plus prudent de renier publiquement le conservatisme. La mouvance féministe, où l'on considère qu'une vraie femme est de gauche ou n'est pas.

Ainsi va la chansonnette de Renaud, Miss Maggie, qui bêtifie: madame Thatcher n'est pas une femme, mais un homme, cet être infâme. Dans la même veine, une politicienne travailliste et féministe a récemment rendu hommage à 16 femmes ayant marqué la Grande-Bretagne... sans la mentionner. Aujourd'hui, on milite pour qu'elle n'ait jamais droit à des funérailles d'État.

La petitesse humaine ne connaît pas de limites.

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On trouvera un peu de cela dans le film The Iron Lady, de Phyllida Lloyd, avec l'extraordinaire Meryl Streep dans le rôle-titre. Il a pris l'affiche, hier.

Le film est meilleur que ce qu'on en a dit. Et, dans la mesure où il est possible de condenser une telle époque et une telle carrière en une heure 45, il décrit assez bien (et avec affection, ce qu'on ne lui pardonne peut-être pas) le personnage immense que fut Thatcher. Assez bien, aussi, les défis qu'il y avait alors à relever et les écueils inévitables.

De fait, après trois mandats au pouvoir, l'héritage politique de la Dame de fer est complexe. Et, comme ce sera le cas lorsque Barack Obama déposera son bilan, on ne peut la juger sans d'abord considérer l'état de la nation dont elle hérita.

Or, en 1979, le Royaume-Uni, c'est le tiers monde. En faillite virtuelle et en proie à une mini-guerre civile (Thatcher elle-même faillit être tuée). Paralysé par un appareil étatique sans gouvernail. Découragé par les coupures de courant, les supermarchés vides et les cadavres abandonnés, résultats des grèves à répétition déclenchées par les corporations les plus puissantes -dont celle des fossoyeurs!

Face à cela, Thatcher gouverna parfois avec brutalité, mais ressuscita bel et bien la nation.

Aujourd'hui, s'exilent à Londres pour s'y bâtir un avenir des cohortes de jeunes Français qui, nés sous François Mitterrand, n'y parviennent pas chez eux.