Dans le métro, au milieu d'un wagon à bord duquel quelques usagers doivent demeurer debout par manque de place, un jeune homme, assis, a les pieds confortablement posés sur le banc devant lui. Juste au-dessus de sa tête, une pub sociétale affirme: «Ne pas mettre ses pieds sur les bancs, on aime ça!»

Dans le métro, au milieu d'un wagon à bord duquel quelques usagers doivent demeurer debout par manque de place, un jeune homme, assis, a les pieds confortablement posés sur le banc devant lui. Juste au-dessus de sa tête, une pub sociétale affirme: «Ne pas mettre ses pieds sur les bancs, on aime ça!»

Le jeune homme l'a-t-il vue? Peut-être. Peut-être pas.

De toute façon, ce que proclame son attitude, c'est qu'il n'a rien à f... du plus élémentaire savoir-vivre (vieille expression en usage à la fin du paléolithique supérieur). Ni, ce qui est pire encore, du civisme, qui est une manifestation minimale de respect à l'endroit de la communauté. Le langage corporel du mufle aux godasses sera fatalement interprété comme un rejet des autres, de sorte qu'on le regardera avec un mélange de suspicion, de crainte et d'hostilité.

Aucun de ces sentiments n'est agréable à éprouver.

La scène est donc celle d'une personne s'appliquant, sans motif ni profit, à gâcher quelques minutes de la vie de deux ou trois douzaines de ses frères humains.

On dira: ce n'est rien, vaut-il même la peine d'en parler? À l'échelle du cosmos et de l'éternité, l'affaire est insignifiante, bien entendu. Mais ce n'est pas dans cette dimension-là que nous vivons.

Au quotidien, les petites incivilités sont souvent plus difficiles à supporter que les grandes oppressions. Les petites grossièretés, méchancetés, injustices et autres offenses infligent des douleurs plus réelles et plus vives que les grandes afflictions, la folie vengeresse des dieux, l'absurdité de l'existence, la tyrannie du capital, l'irresponsabilité de l'État - y compris en matière de ponts et chaussées!

Or, on dirait que la vie en société se détériore, précisément dans les petites choses, parce que les adultes «modernes» sont des enfants-rois qui n'ont pas grandi.

À la rage au volant, on a ajouté celles du piéton et du cycliste pour constituer une charmante trilogie d'enragés mal embouchés exhibant constamment leur majeur en érection. Plus généralement, la rudesse des rapports entre inconnus, entre collègues et parfois même entre amis est stupéfiante... sans parler des échanges sur internet, capables de faire rougir un Hell's Angel accoté à une danseuse-à-dix. Vandaliser à petite ou grande échelle le mobilier urbain appartenant à la collectivité est devenu un hobby. Dans les mille petits riens qui font - ou défont - l'existence, toute préoccupation pour la communauté s'est évaporée. Et le sourire est en voie d'extinction...

Bref, sans motif ni profit, chacun semble résolu à rendre la vie des autres insupportable. A-t-on vraiment le goût de continuer ainsi? À constamment mettre ses pieds sur la tête du prochain?