Avec, en toile de fond, le sabordage du News of The World, l'hebdo britannique à grand tirage vieux de 167 ans, une autre crise médiatique émerge. Elle met en cause, non pas l'économie des médias mise à rude épreuve par les plateformes numériques, mais bien leurs contenus.

Avec, en toile de fond, le sabordage du News of The World, l'hebdo britannique à grand tirage vieux de 167 ans, une autre crise médiatique émerge. Elle met en cause, non pas l'économie des médias mise à rude épreuve par les plateformes numériques, mais bien leurs contenus.

Plus précisément: les fondements éthiques et moraux sur lesquels repose le travail du journaliste.

L'affaire News of The World amène la condamnation d'un «format» journalistique, celui de la presse à scandales dans sa version extrême. Mais la crise est beaucoup plus large. Ainsi, au Québec, un journaliste du réseau CTV vient de démissionner avec fracas - fait rare dans le métier - en invoquant le cadre éthique à l'intérieur duquel il devait travailler.

S'il fait aujourd'hui les manchettes, le jaunisme d'une certaine presse britannique n'est pourtant qu'anecdotique. Les vraies tendances lourdes de la pratique du journalisme sont autres.

Il y en a deux.

La première est un nouveau dosage des contenus en vertu duquel la narration des faits est dorénavant écrasée par l'expression des opinions. C'est ce que décrit l'une des publications les plus rigoureuses au monde, The Economist, en qualifiant ce phénomène de «Foxification» des contenus. La chaîne américaine Fox News a en effet imposé la prédominance du point de vue sur le reportage... en penchant dans son cas à droite, mais la «Foxification» de gauche est au moins aussi courante.

La seconde tendance consiste en un déboulonnage de la notion d'objectivité, laquelle fut pourtant un phare pour des générations de journalistes. Or, elle est de plus en plus remplacée par la notion de transparence. C'est ce que nous appellerons la «Wikileasation» de l'information, en référence à l'oeuvre de Julian Assange. Il est le nouveau héros de la classe médiatique, comme le furent jadis les Bernstein-Woodward, grands amateurs de faits et d'objectivité...

Or, ces «progrès» nous semblent problématiques, en particulier dans le second cas.

Car si l'opinion ne peut faire autrement que de véhiculer une certaine quantité de faits, ne serait-ce que pour se légitimer, la destitution de l'objectivité au profit de la transparence serait, pour le métier, une perte nette. Et une grosse.

Certes, l'objectivité «pure» n'existe pas, comme l'ont souligné des hordes de journalistes engagés - en  général plus engagés que journalistes... Mais elle est un objectif et un idéal irremplaçables. La boulimie de transparence, elle, est en bonne partie une réaction épidermique et populiste à la perte de confiance à l'endroit des pouvoirs et des institutions. Elle ne peut servir ni de phare ni d'idéal. Poussée à l'extrême, elle peut même devenir presque répugnante.

N'y a-t-il jamais eu plus ambitieuse recherche de totale transparence, en effet, que celle à l'origine des manchettes scabreuses de News of The World?