«Touttte est dans touttte!» psalmodiait jadis Raôul Duguay. C'était au temps où, montant sur scène avec l'Infonie, ce groupe aussi halluciné que légendaire, il improvisait à la dactylo des poèmes qu'il lançait au fur et à mesure à un parterre d'étudiants gelés dur! Sauf erreur, Duguay avait déjà bricolé le mot «Kébèk», innovation lexicale dont le sens profond échappera probablement toujours au commun des mortels.  

«Touttte est dans touttte!» psalmodiait jadis Raôul Duguay. C'était au temps où, montant sur scène avec l'Infonie, ce groupe aussi halluciné que légendaire, il improvisait à la dactylo des poèmes qu'il lançait au fur et à mesure à un parterre d'étudiants gelés dur! Sauf erreur, Duguay avait déjà bricolé le mot «Kébèk», innovation lexicale dont le sens profond échappera probablement toujours au commun des mortels.  

On se trouvait alors en 1967, ou pas longtemps après. On a le goût de dire: à la belle époque... comme les vieux et les très vieux d'autrefois le disaient des années 50 ou de l'entre-deux-guerres!

Il reste que c'était bel et bien une ère magnifique - et hallucinée, comme l'Infonie. Dans son cinéma intérieur, le Québec - le Kébèk? - se projetait tous les rêves mythiques scénarisés à Paris ou à San Francisco. Celui de l'indépendance postcoloniale. Celui de la dictature du prolétariat. Celui de la contre-culture triomphant du «système». Celui de la relation fusionnelle avec frère l'Ours et soeur l'Orchidée.

Le poète n'avait pas tort: touttte était dans touttte, en ce temps-là.

Il subsiste de gros morceaux de chacun de ces rêves dans Ô Kébèk, l'hymne national que propose Raôul Duguay. On y trouve en effet l'«Esprit de la Terre» et un «monde équitable». L'orignal et le harfang. Le Kébèk, bien entendu, avec ses «chers ancêtres», sa «souvenance de la France» et son «peuple uni sous le fleurdelisé»...

Rien de cela n'aurait provoqué l'hilarité à l'époque. Mais, aujourd'hui, il faut se mordre les joues pour ne pas pouffer devant ce long pensum patriotico-bucolico-lyrique, au risque d'offenser le poète. D'ailleurs l'offense est advenue, hier, Duguay mettant la crise nationale de fou rire sur le compte «des fédéralistes, ou encore des gens qui manquent de culture, ou qui n'ont pas le sens de l'histoire» (dans Rue Frontenac).

Concédons qu'il a le droit d'être vexé.

Et même, reconnaissons qu'on peut extrapoler à partir de son hymne une question d'une effrayante actualité: après toutes ces années, en sommes-nous encore là? À ressasser des lubies qui n'ont presque plus de présent et pas du tout d'avenir? À mythifier le passé et à déifier la nature, automatismes intellectuels agissant surtout chez qui n'a rien connu d'autre que l'opulence contemporaine et le confort urbain? À espérer un paradis terrestre digne d'un conte pour enfants où tout le monde sera beau, tout le monde sera gentil?...

Sans doute aucun hymne national officiel n'est-il très comestible du point de vue de l'inspiration poétique et de la justesse du portrait de société, peut-on plaider à la défense de l'Ô Kébèk.

Mais c'est aussi une bonne raison pour que nous nous en passions pendant encore un petit moment.