Le livre est un phénomène d'édition que personne ne peut expliquer, sorte de big bang littéraire tirant sa formidable énergie du quasi-néant! Il s'agit du diminutif pamphlet Indignez-vous!, débarqué il y a deux jours dans les librairies québécoises et bientôt disponible en plusieurs langues dans le monde.

Le livre est un phénomène d'édition que personne ne peut expliquer, sorte de big bang littéraire tirant sa formidable énergie du quasi-néant! Il s'agit du diminutif pamphlet Indignez-vous!, débarqué il y a deux jours dans les librairies québécoises et bientôt disponible en plusieurs langues dans le monde.

Vraiment spécial, le bouquin.

Davantage une brochure qu'un livre, l'objet n'est pas plus épais qu'une crêpe et contient à peine 14 pages de texte véritable. En France, on le vend trois euros; ici, 5,95$. Par tirages successifs depuis les 8000 exemplaires initiaux lancés le 20 octobre, le livre a atteint début janvier les 950 000 unités vendues; aujourd'hui, il a sans doute dépassé le million! Cela le place peu ou prou dans les mêmes ligues que les Harry Potter...

Or, Indignez-vous! n'est ni léger ni divertissant. C'est un essai polémique mortellement sérieux signé par un vieux monsieur très digne de 93 ans, Stéphane Hessel, ex-résistant, ex-gaullien, ex-diplomate, devenu le gourou instantané de l'«insurrection pacifique».

Pourquoi un aussi étrange succès de librairie, donc?

D'abord, au risque de froisser les purs esprits, l'objet est un véritable fantasme d'expert en marketing. Offert au prix d'une friandise, souvent placé par les libraires en piles attrayantes juste à côté de la caisse, destiné à être avalé en sept minutes chrono, auréolé d'une formidable image de marque, Indignez-vous! est irrésistible. La preuve...

Ensuite, il y a le contenu.  

Essentiellement, Hessel dit: revenez à l'esprit de la Résistance. Et, pour préserver les acquis, conserver vos retraites, venir au secours des sans-papiers, appuyer les Palestiniens et être du côté de toutes les victimes du grand capital, déclenchez une révolution (non violente) contre les puissances de l'argent! L'opuscule ne fait pas dans le détail. Aucune considération pratique ne le trouble. C'est un manifeste comme il s'en déclamait dans les cafés de la Rive gauche à la fin du XIXe siècle et comme il s'en rédige aujourd'hui dans les classes de Sciences-Po...

Ça plaît ou ça ne plaît pas, au goût du client: on peut très bien estimer avoir déjà avalé de cette sorte de rhétorique jusqu'à l'indigestion. Mais l'intérêt de l'affaire est ailleurs. Précisément ici: pourquoi diable Indignez-vous! marche-t-il autant au pays des Lumières, dans la patrie des idées, sur la terre des philosophes? Et, cela étant, qu'est-ce que ce goût immodéré pour le superficiel et l'inutile dit sur l'humeur de la France?

Parions sur deux mots: frayeur et repli. Frayeur devant une modernité que l'on n'arrive pas à apprivoiser. Repli dans une zone de confort: celle des formidables acquis d'une société libre et riche; celle du progressisme conservateur; celle des révolutions mimées que sont les manifs de rue presque quotidiennes. En somme, c'est pour les Français la nouvelle Résistance!

Cependant, celle-là est sans panache. Et elle sera sans gloire.