On avait presque oublié qui est véritablement cet homme; presque oublié de quelle élévation intellectuelle et morale, il est capable. Depuis deux ans, on ne le voyait plus qu'assiégé par la brutalité de l'exercice quotidien du pouvoir. Parfois même vaincu, a-t-on craint à quelques reprises.

On avait presque oublié qui est véritablement cet homme; presque oublié de quelle élévation intellectuelle et morale, il est capable. Depuis deux ans, on ne le voyait plus qu'assiégé par la brutalité de l'exercice quotidien du pouvoir. Parfois même vaincu, a-t-on craint à quelques reprises.

Or, voilà que, plongeant dans l'horreur de la tuerie de Tucson, Barack Obama revient donner le meilleur de lui-même.

La grandiose oraison funèbre que le «consolateur en chef» (selon une expression de la presse américaine) a prononcée, mercredi, a certainement atteint la profondeur et la clarté morale du discours sur la question raciale donné le 18 mars 2008. Les deux fois, reprenant les mots des pères fondateurs, il a parlé de cheminer vers «une union plus parfaite», liant cette fois l'entreprise au retour de la civilité «dans ce cheminement (...) souvent querelleur».

À plusieurs reprises, visiblement secoué (il a deux filles de 9 et 12 ans), Barack Obama a évoqué la petite Christina Taylor-Green, 9 ans, l'une des six victimes de la tragédie. Elle était une image de foi en une démocratie qu'elle découvrait avec un regard encore dénué de cynisme, a-t-il décrit.

Au total, le président des États-Unis a manifesté cette sorte de noblesse à laquelle on s'attend d'un véritable chef d'État.

Certes, il a évoqué les trois anomalies qui sous-tendent la tragédie. Un discours public à la véhémence indécente. L'omniprésence des armes à feu. Le manque de vigilance des institutions devant la maladie mentale. Mais il a refusé de pointer du doigt un coupable définitif et avéré.

C'était la bonne chose à faire.

Donner du sens à des événements qui n'en ont peut-être pas - hormis la déraison, justement - est un jeu dangereux. Nous avons déjà joué à ça, au Québec, après l'un ou l'autre drame un peu semblable: ça ne nous a apporté aucun apaisement moral.

Néanmoins, le judicieux devoir de réserve que s'est imposé Barack Obama ne doit pas occulter le fait qu'une véritable épidémie d'incivilité aggravée sévit dans la sphère publique... et pas seulement aux États-Unis. Revenir à un niveau de discours décent, comme il le prêche, est-il possible?

On aimerait le croire.

Cependant, depuis la tuerie de Tucson, la droite comme la gauche américaine ont eu recours pour fustiger l'adversaire à des termes liés à l'imagerie antisémite ou para-nazie, dégoûtants en la circonstance. Les cas les plus voyants sont ceux de Sarah Palin et de son «blood libel»; ainsi que du prix Nobel Paul Krugman et de son «eliminationist rhetoric» - on se serait attendu à mieux de lui. Après cela, si la violence devait sévir à nouveau, on décrètera que Barack Obama a échoué dans une autre de ses entreprises...

L'époque n'est pas seulement dangereusement grossière. Elle peut être très injuste, aussi.