Nous publions aujourd'hui le premier de deux éditoriaux sur l'avenir du livre.

Lorsque le livre est apparu dans la foulée de la machine de Gutenberg, les lecteurs ont-ils pleuré la bonne odeur de scriptorium et la belle texture parcheminée des ouvrages des moines copistes? Et ont-ils gémi lorsque les livres se sont mis à se vendre dans les échoppes les moins nobles; au marché public, par exemple, juste à côté des petits pois?

Probable.

Aujourd'hui, c'est la technologie numérique qui déclenche les sanglots longs des fétichistes du livre-objet, atteints d'une perversion textuelle inconnue dans le monde de la musique ou du cinéma, par exemple: là, on vit la dématérialisation des contenus sans faire de crises d'apoplexie.

Car, justement, le maître mot est : contenu. En soi, le livre-objet n'est rien, à moins qu'il ait été expressément conçu comme une pièce d'art destinée à la collection... ou à la table à café.

* * *

C'est cette réalité que veut sans doute embrasser le 33e Salon du livre de Montréal, actuellement en cours, en proposant le slogan: Livre ouvert sur le XXIe siècle. Et, de fait, il y a un aspect local à cette réalité: le Québec n'a pas été rapide sur la gâchette numérique même si, subitement, tout le monde semble s'y intéresser. L'effet iPad, sans doute.

Il y a plus d'une décennie, nous plaidions déjà dans ces pages pour que le Québec investisse davantage dans la technologie numérique, que l'on voyait venir comme un train dans un tunnel. On ne l'a pas fait. L'important était de fonder une Grande bibliothèque et de consolider la forteresse éternellement assiégée de la bonne vieille chaîne du livre-objet...

De sorte qu'il faut maintenant rattraper un retard gênant.

Aujourd'hui, l'«entrepôt électronique» des éditeurs québécois contient tout juste 3500 titres... alors que plus de 6000 nouveautés apparaissent chaque année sur support papier. Quant aux lecteurs, ils regrettent que le prix de vente des livres numériques soit ici à peine moins élevé que celui des bouquins, une anomalie suspecte. Et ils se perdent dans les méandres des sites québécois, dont la manipulation est souvent complexe (par exemple, devoir passer par l'ordinateur pour «charger» une tablette agit comme un repoussoir).

Résultat des courses: seulement un internaute québécois sur 20 s'intéresse au livre numérique, contre huit sur 20 à la webtélé. Nous verrons demain à quel point la situation est différente aux États-Unis, leaders mondiaux du ebook.

Le problème serait-il que l'industrie québécoise du livre ne croit pas encore vraiment au numérique? Possible, s'il faut en croire les déclarations attentistes, frileuses, presque passéistes, de plusieurs acteurs et observateurs du monde de l'édition.

C'est une erreur. Encore.

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