Dans la salle d'exposition, on voit des gens de tous les âges. Les plus jeunes sont venus voir par curiosité, pourrait-on dire, ce qu'est la mort. Ce qu'est un mort. Les plus vieux, qu'on ne peut s'empêcher d'observer à la dérobée, contemplent avec gravité les images d'un inévitable futur qui, d'évidence, les interpelle.        

L'exposition À la vie, à la mort est présentée jusqu'au 6 septembre au Musée des religions du monde, à Nicolet.

Oeuvre du portraitiste Walter Schels et de la journaliste Beate Lakotta, elle est constituée des photographies de 26 personnes, prises peu avant puis peu après leur décès. De courts textes décrivent leurs ultimes réflexions, dominées par l'étonnement et l'incompréhension.

Ce n'est évidemment pas une exposition facile à fréquenter. Mais elle est nécessaire.

La mort semble ne plus exister, en effet. Le sujet est banni des conversations. On meurt en institution, soustrait aux regards, en un banal épisode techno-médical. Les dépouilles ne sont plus exposées, mais rapidement incinérées. Les cendres, qui n'ont plus rien d'humain, sont enfouies dans des urnes discrètes.

Rien de cela n'est vraiment normal.

La preuve, c'est que la mort effraie comme jamais dans le passé parce qu'elle n'est plus enseignée, pour ainsi dire, et ne fait plus partie du processus normal de la vie.

Dans la civilisation judéo-chrétienne, des «modes d'emploi» de la mort existaient dès le XVe siècle : ainsi, Ars Moriendi, ou L'Art de la mort, a été publié en 1415 et ensuite réédité plus d'une centaine de fois. Ces guides étaient évidemment imbibés de bondieuseries : comment faire autrement puisque c'est précisément la conscience de la mort qui a entraîné l'invention de tous les dieux et de toutes les religions?

Or, le vacuum créé par le recul de la foi religieuse dans la plupart des sociétés développées n'a pas été comblé par ce qui aurait dû être un corpus laïque, humaniste, destiné à pacifier la mort. Une telle chose n'existe pas. À la fois médecin et essayiste, Atul Gawande dit: «Au cours des dernières décennies, la médecine a rendu caducs des siècles d'expérience, de tradition, de discours sur notre mortalité et a créé une nouvelle difficulté pour le genre humain: réapprendre comment mourir» (dans The New Yorker, notre traduction).

De sorte que, pour l'instant, chacun marche à tâtons et dans la douleur sur le chemin menant à sa propre fin.

C'est le cas, actuellement, du journaliste et essayiste britannique Christopher Hitchens, auteur de Dieu n'est pas grand, un des pères de ce qu'on appelle maintenant le Nouvel athéisme, atteint à 61 ans d'un cancer probablement incurable. Il en parle avec franchise et profondeur ce qui, venant de lui, est d'un grand intérêt (voir à ce sujet et au sujet de ses mémoires, Hitch-22, le blogue de l'édito sur Cyberpresse).

En banlieue de Québec, il y a quelques jours, un couple âgé s'est donné la mort en un pacte de suicide, déduit-on. On se demande en pareil cas: peut-on se suicider pour ne pas avoir à affronter une mort plus dure encore? Ce n'est pas absurde: le cas est fréquent chez les soldats en mission risquée, par exemple, ou chez certains malades qui se savent condamnés.

Que faire devant une telle détresse? En un mot, peut-être: moins de médecine invasive et inutile, plus de secours humains et de choix laissés à celui qui va mourir; moins de fabulation ésotérique et plus de tendresse. Davantage de lieux de mort comme il y a des lieux de naissance (ou mieux encore: plus de soutien à domicile). Davantage d'aide psychologique.

Et, surtout, surtout: un retour de l'acceptation et de la présence de la mort dans la vie.