Combien d'années de recul faut-il pour vraiment comprendre un événement historique? Une guerre, par exemple? Et pour la traduire en oeuvre littéraire ou cinématographique?

Au grand écran, on commence déjà à représenter la guerre en Irak, la seconde, celle de Bush fils. Le film Hurt Locker, de Kathryn Bigelow, a amorcé l'exercice de façon spectaculaire en remportant six Oscars. Green Zone, de Paul Greengrass, en est à sa première semaine sur les écrans d'Amérique du Nord.

 

Le temps s'accélère, on le voit bien. Mais il se peut que ces deux films aient un peu brûlé les étapes...

Soixante ans après, il se fait encore des films sur la Seconde Guerre mondiale, qui en éclairent différemment, ou même mieux, certains aspects. On a tourné plus d'une quarantaine de fictions sur, ou autour de, la guerre du Vietnam; il a fallu 25 ans pour penser les plus signifiants d'entre eux. La guerre du Golfe de Bush père a été vue de façon inusitée et perspicace dans Three Kings, de David Russell, tourné presque 10 ans après le cessez-le-feu.

Or, outre qu'il dure toujours, le conflit irakien présente la difficulté d'être imprévisible quant à sa conclusion et à ses répercussions - on saura dans un an, ou cinq, ou 10.

Bigelow a contourné le problème en concevant une oeuvre apolitique, centrée sur l'humain. Hurt Locker explore brillamment l'ambiguïté, la peur, surtout l'instinct de mort... sans parvenir à particulariser le conflit. Il y a 30 ans, Apocalypse Now ou The Deer Hunter, respectivement de Francis Ford Coppola et Michael Cimino, se livraient à la même psychanalyse, parvenant à un résultat assez similaire à propos d'une tout autre guerre.

Pourtant, chacune n'est-elle pas différente?

Greengrass a fait le contraire: Green Zone se vautre dans la politique. On y trouve les bons et les méchants; les premiers presque ramenés à un seul homme, le soldat héros; les derniers composant le «clan Bush», du président lui-même jusqu'au Wall Street Journal.

Rien à redire.

Cependant, outre que le film est assez médiocre, il tombe à un moment où ceux qui furent les plus hostiles à cette aventure - nous en sommes - se grattent la tête, interloqués.

Des élections législatives viennent d'avoir lieu en Irak; c'était le troisième appel au peuple depuis 2003. Le taux de participation y a été élevé. Placé sous la responsabilité des Irakiens, le vote s'est assez bien déroulé. Les tractations qui ont cours depuis lors sont ardues, mais pas désespérées. Et on se trouve à quelques mois du retrait des troupes américaines...

Alors?

Alors, comment faudra-t-il raconter cette guerre dans un an, ou cinq, ou 10? Quelle sera sa véritable particularité? Quel film conviendra-t-il de tourner à ce moment-là?...

Le temps s'accélère, on l'a dit. Mais la patience est encore une vertu.