Nous publions aujourd'hui le premier de quatre éditoriaux sur quelques points marquants de la décennie écoulée.

«Nous préférons la mort à la vie.» Il s'agit de l'article premier du petit catéchisme des djihadistes. Il s'agit aussi de la version courte d'une idéologie qui aura défini la première décennie du siècle. Et ce, en ressuscitant le culte antique de la mort, implicite dans toute religion, ainsi qu'en renouvelant l'art immémorial de la guerre de façon assez inattendue.

Aux yeux de tous, cet instinct de mort surgi des ténèbres de l'Histoire s'est incarné en 2001 sous la forme des tours jumelles de Manhattan s'écroulant sur elles-mêmes dans la poussière, la fumée, le sang et les cris d'effroi...

 

De fait, cette image demeurera l'icône absolue et éternelle des 10 années qui viennent de s'écouler.

Or, elle est en partie trompeuse.

Certes, cette attaque est inédite, unique, sans précédent. Cependant, le terrorisme «nouveau» , celui de l'islam radical, est à bien des points de vue le fils spirituel des terreurs du passé. Ainsi, par sa haine de l'Occident, son rejet du capital, son moralisme exacerbé, sa construction intellectuelle hallucinatoire, son incarnation dans une piétaille conformiste et bourgeoise... par tout cela, il descend en droite ligne du terrorisme prolétarien - commandité par l'Est pauvre et totalitaire - ayant sévi en Europe.

C'était juste avant la vague contemporaine de terreur qui, elle, est commanditée par le sud riche, celui du pétrole.

Encore ne s'agit-il que d'une partie seulement de l'affaire. Car la terreur exercée par ceux qui «préfèrent la mort» est en outre un des moteurs de la transformation en profondeur des équilibres internationaux et des rapports de force qui font la politique.

Depuis 2001, des conflits parfois stupides, toujours insolubles, épuisent lentement la nation qui fut pendant presque un siècle la plus puissante de la Terre - et épuisent tout l'Occident avec elle. L'Occident pris au piège dans des déserts de sable ou de roche. L'Occident condamné à mener une politique schizophrène où il faut cajoler des potentats féodaux rêvant de l'ultime bûcher sur lequel ils le feront brûler un jour. Comme les tours!

Tout cela s'incarne sur le terrain. Une escadrille de chasseurs-bombardiers à 500 millions/pièce se révélera impuissante devant un cutter à 99 cents. Et 100 000 combattants équipés à la Star Wars échoueront à contrôler un territoire peuplé de paysans circulant à dos d'âne...

On le voit bien depuis 10 ans, la réalité que tente de décrire le fameux «choc des civilisations» de Samuel Huntington consiste plutôt en un «choc des temps» tel qu'imaginé des années auparavant par Alvin Toffler. Le choc d'un siècle contre un autre. Le choc de l'instinct de mort contre l'instinct de vie.

Heureusement, ce dernier est puissant, lui aussi.

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> L'instinct de vie