Les gadgets high-tech , c'est l'affaire des jeunes, dit-on. Comment se fait-il alors que beaucoup d'adeptes du Kindle, le livre électronique le plus populaire, disent l'avoir adopté en raison de douleurs arthritiques ou de problèmes de la vue? C'est que les utilisateurs du Kindle sont plutôt âgés: presque les trois-quarts ont plus de 40 ans, dont 8% plus de 70 ans!

Un million de ces liseuses circulent maintenant aux États-Unis; elles donnent accès à 297 000 bouquins, 29 magazines et 38 journaux (juin 2009). Dans trois ans, les Américains posséderont 12 millions de liseuses, qui sont déjà ou seront éventuellement offertes par amazon.com, Sony, Interead, Apple et d'autres. Après la musique et le cinéma, est-ce aujourd'hui au tour du livre de se détacher de son support matériel? Le virage semble amorcé.

 

Même au Québec, où l'audace n'est pas la caractéristique première du milieu du livre, un projet décolle. Il s'agit d'un partenariat entre les librairies Archambault et la multinationale Sony; le duo propose une liseuse ainsi qu'une librairie francophone virtuelle. Le produit est intéressant, mais souffre de la comparaison avec ce qu'offrirait le Kindle... s'il était disponible au Canada: il ne l'est pas, notamment par manque d'accès à la téléphonie sans fil.

Comme on le voit, le livre virtuel soulève des difficultés inédites (on le constatera aussi en lisant le blogue de l'édito sur Cyberpresse).

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Les avantages potentiels de la circulation virtuelle de l'écrit sont énormes. Le coût du livre diminue, l'accès s'accroît, la diversité potentielle est sans limite, les arbres sont épargnés.

Pourtant, il existe beaucoup de réticences.

Les plus irréductibles sont peut-être celles qui ont trait au caractère sacré de l'objet - ah! l'odeur de l'encre et le velouté du papier! Ce plaisir est réel. De sorte que le livre-papier ne disparaîtra jamais totalement, devenant plutôt un moyen parmi les autres, la liseuse, l'ordinateur, le téléphone portable, le «papier électronique», de fréquenter l'écrit.

D'autres difficultés touchent aussi la question des droits.

Enfin, sachant que le médium est le message, que deviendra notre rapport avec l'écrit lorsque son support se sera ainsi transformé? Cette relation sera-t-elle morcelée, parcellaire, superficielle, comme elle peut l'être avec le web? C'est une inquiétude légitime. Mais il faut avoir foi dans les contenus. La «chaîne du livre» n'est pas d'abord une ligne de montage industrielle (imprimeur-camion-distributeur-camion-libraire-camion-pilon), mais bien le lien unissant l'auteur et le lecteur.

Si le premier demeure intéressant, le second demeurera intéressé.

De sorte que le seul danger réel serait que les plus puissants créateurs se détournent de l'écrit et s'expriment de plus en plus autrement. Comme Michael Moore, qui livre des idées par l'image. Comme Robert Lepage, qui propose un imaginaire sculpté dans l'espace, la lumière et le son.

C'est cette mutation-là qu'il faut avoir à l'oeil.