D'une année à l'autre, et ce, depuis maintenant 30 ans, on nous assure que la cuvée nouvelle du Festival international de jazz de Montréal sera spéciale. Exceptionnelle. Plus grandiose encore que les précédentes. Or, de fait, le FIJM n'a jamais trahi ses promesses. Et, croissant en âge et en sagesse, il est devenu cet événement que tous connaissent aujourd'hui et dont la réputation s'étend loin à l'extérieur de nos frontières.

Cette fête est, depuis plusieurs années déjà, le plus puissant moteur de la vie culturelle de Montréal.

Le rendez-vous du jazz, modestement donné pour la première fois en 1980 sur l'île Sainte-Hélène, s'est graduellement mué en une institution autour de laquelle on tente aujourd'hui de traduire dans la réalité une idée: celle de «métropole culturelle», un statut auquel Montréal peut aspirer, certes pas dans l'absolu, mais à la hauteur de ses moyens. Et une institution autour de laquelle on commence à rebâtir un quartier vital pour la ville, mais scandaleusement négligé pendant longtemps parce que, de toute évidence, la vision et l'audace ne sont pas des spécialités montréalaises.

 

Précisément: que le FIJM ait prospéré de façon aussi spectaculaire dans l'ambiance d'immobilisme, de petitesse et de chiquage de guenille qui est la nôtre ne fait qu'ajouter à ses mérites ainsi qu'à ceux de ses fondateurs et artisans.

Hier et aujourd'hui, on a vu et on verra comment, après trois décennies, le poids du Festival de jazz est devenu tel qu'il commence à se couler dans le béton.

Ainsi, hier soir, a été officiellement ouverte la nouvelle Maison du Festival. C'est la maison dite «Rio Tinto Alcan», en référence à la firme qui a donné 4 millions de dollars pour que cette idée se traduise dans la réalité. Ç'a a d'ailleurs fait beaucoup chiquer: nous sommes à Montréal, que voulez-vous, probablement le seul endroit au monde où les mécènes sont respectueusement priés de cracher le fric puis d'aller se faire voir ailleurs.

Ensuite, ce soir, lorsqu'elle sera envahie par des dizaines de milliers de prolétaires, on inaugurera pour de vrai la nouvelle Place du Quartier des spectacles. Cela se fera avec le concert de Stevie Wonder, monument vivant de la pop afro-américaine (en outre proche de Michael Jackson en quelques occasions, ce qu'il est peut-être opportun de rappeler dans les circonstances). Wonder ne fait pas traditionnellement du jazz - allons, chiquons encore un peu... Mais il a l'amour, le génie et le feu de la musique, peu importe comment on la nomme.

C'est exactement ce qu'il faut pour ouvrir un 30e Festival de jazz. Lequel, avec un peu de chance, sera peut-être spécial, exceptionnel et plus grandiose encore que les précédents