Après trois jours de mobilisation de la «rue» iranienne, après plus d'une demi-douzaine de victimes et des entraves à la transmission de l'information de plus en plus lourdes (et futiles), il est maintenant clair que le pouvoir des mollahs est ébranlé. Davantage et plus profondément qu'il ne l'a été depuis l'installation de la complexe machinerie politique de la théocratie khomeinienne après la chute du shah d'Iran, en 1979.

Pour la première fois, en effet, ce pouvoir a affiché - presque télégraphié - ses faiblesses.

Avoir aussi grossièrement manipulé le scrutin qui a mené à la réélection de Mahmoud Ahmadinejad fut le premier aveu d'inconfort de la part d'un État devenant graduellement étranger à une large partie de sa population.

Aussi révélatrice est la «concession» faite par le Conseil des gardiens de la constitution: celle de recompter les voix dans certains districts. Mir Hossein Moussavi, figure de proue de l'opposition, a évidemment refusé cette mesure cosmétique. Laquelle a surtout réussi à attirer l'attention sur le statut fragile des élus par rapport au pouvoir religieux - même chancelant, comme l'a été depuis dimanche le guide suprême, l'ayatollah Ali Khamenei.

Troisième aveu de faiblesse: n'avoir pas réagi avec la plus grande brutalité à la grogne populaire, comme l'État iranien l'a prestement fait dans le passé (et pourrait encore le faire au cours des heures ou des jours qui viennent). Il est vrai que c'est devenu gênant à l'ère du portable et de YouTube. Mais, en général, les régimes autoritaires ne se maintiennent pas autrement.

Enfin, le pouvoir a fait cet aveu de faiblesse qu'est la censure claire et nette. Hier, les journalistes en poste à Téhéran ont été confinés à leur hôtel ou leur bureau pendant que défilaient deux manifestations, pro et anti-Ahmadinejad. Ce fut l'étape ultime, après les débranchements ciblés de la téléphonie, de la télé satellitaire et de l'Internet. Les réseaux de socialisation ont plus ou moins pris le relais, moins fiables, mais impossibles à stopper.

Malgré tout cela, rares sont ceux qui croient que la théocratie iranienne va s'effondrer.

Pour l'instant, la «rue», fût-elle pétrie d'idéalisme et de courage, n'a vraisemblablement pas ce pouvoir.

En outre, la véritable lutte se fait à l'intérieur même des structures entre conservateurs de diverses teintes et réformistes. Deux establishments, en somme. C'est une lutte dont l'enjeu consiste à déterminer dans quelle direction naviguera le bâtiment existant. Repli fondamentaliste et antagonisme vis-à-vis les ennemis traditionnels, Israël et les États-Unis (position tartinée dans La Presse officielle et gagnante pour l'instant). Ou libéralisation interne, réforme économique et ouverture au monde... toutes trois relatives, bien entendu.

Quoi qu'il arrive, l'Iran, candidat à l'atome et commanditaire du Hezbollah, ne disparaîtra pas. C'est ce qui explique l'extrême prudence dont a fait preuve jusqu'ici le président des États-Unis, Barack Obama, dans ses commentaires sur l'élection iranienne et ses suites.

Un État perse affaibli, avec lequel il faudra un jour négocier, n'en sera pas pour autant plus facile à manier.