Au beau milieu de la mégaboutique peut-être la plus fréquentée de Paris, en tout cas la mieux située, trône un étalage des oeuvres complètes de Stephen Clarke (une dizaine de livres, en anglais ou en traduction). À commencer par sa pièce maîtresse lancée il y a quatre ans, A Year in the Merde... Clarke est un auteur britannique exilé de l'autre côté de la Manche, une sorte d'anti-Peter Mayle qui passe la France et les Français à la moulinette avec une belle férocité - et même un zeste de méchanceté.

Pourtant, autour du présentoir monté chez Virgin, sur les Champs-Élysées, chacun feuillette en rigolant ces pages assassines. Et, visiblement, tout cela se vend comme des petits pains.

 

Sur la page «Stephen Clarke» du site hexagonal d'Amazon, des lecteurs et lectrices rient... même si c'est parfois un peu jaune. «Je suis désolée pour les chauvins, mais c'est si vrai!» commente l'une. «Même si certaines situations sont exagérées, d'autres restent vraies et c'est sûrement ce qui fait le plus mal à notre orgueil gaulois», remarque l'autre. «Un bon livre pour se distraire si on ne se prend pas trop au sérieux», lit-on enfin.

Justement: le cliché universellement véhiculé veut que les Français soient chauvins, orgueilleux, génétiquement programmés pour se prendre très au sérieux.

Comment se fait-il, en ce cas, que nos cousins soient parfaitement disposés à se laisser moquer par un vilain auteur anglo-saxon alors que nous, Québécois, en sommes totalement incapables?

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Nous n'avons pas la couenne très dure, il faut bien le constater. En particulier lorsque la pique vient d'un «Anglais», terme générique incluant toutes les variétés d'anglophones, qu'ils soient du Mile-End ou de Melbourne (Australie).

Un des rares écrits humoristiques à notre sujet et qui puisse être vaguement comparé à ceux de Clarke, The Anglo Guide to Survival in Québec, de Josh Freed, a fait grincer des dents de Venise-en-Québec à Val-d'Or. On ne se souvient de Mordecai Richler, dont l'oeuvre est gigantesque, que pour entretenir la rage qu'ont alimentée ses occasionnelles poussées de fièvre mange-canayen. Une remarque selon laquelle les Québécois sont «des paysans avec des cartes de crédit» (assez comique, nous semble-t-il...) a provoqué l'indignation nationale.

Enfin, il ne se passe pas six mois sans qu'un nouvel essai anti-Anglos made in Québec paraisse en librairie. Et il arrive que cette prose soit à ce point dépourvue d'humour, raciste, haineuse, ignare et insensée qu'on se demande qui, de la police des droits de l'homme ou de l'infirmier responsable, il vaudrait mieux alerter.

Nous, Gaulois d'Amérique, avons certainement beaucoup de qualités. Mais nous n'avons peut-être pas encore acquis cette assurance tranquille, noble et raffinée qui permet aux Gaulois d'Europe, par exemple, à la fois de s'adonner aux joies de la dérision et de laisser reposer en paix le passé.