Il est douteux que l'on fasse un procès au président soudanais Omar el-Béchir dans un avenir prévisible. Cependant, 24 heures après qu'elle eut lancé un mandat d'arrêt contre lui pour crimes de guerre et crimes contre l'humanité, la Cour pénale internationale, elle, se retrouve bel et bien au banc des accusés.

L'action de la CPI a-t-elle un sens? Sa décision n'est-elle destinée qu'à accroître encore la misère des Darfouris? N'est-elle que le bras judiciaire de l'«impérialisme occidental», une accusation qui fleurit à Khartoum, constitue la défense adoptée par el-Béchir et est relayée avec enthousiasme par l'agence de presse Xinhua (la Chine est le premier partenaire économique du Soudan)?

 

Il ne s'agit évidemment pas de savoir s'il existe une base plaidable à ces accusations: par lui-même ou par milices interposées, le régime de Khartoum a nourri une situation qui, dans la province du Darfour, a fait 300 000 victimes et plus de deux millions de réfugiés.

Ainsi, ceux qui plaident pour que la CPI suspende son mandat (l'Union africaine et la Ligue arabe sont de ceux-là) notent d'abord que le tribunal international s'intéresse vraiment beaucoup aux délinquants africains. Et ce, à l'exclusion... d'Israël, bien entendu! Ce à quoi le philosophe Bernard-Henri Lévy, qui se réjouit du mandat d'arrêt, répond (dans le Wall Street Journal) que «les Palestiniens ne sont pas les seules victimes au monde». Au surplus, il est exact que, à ce jour, la CPI s'est peu préoccupée des pays scandinaves...

D'autres objections sont plus sérieuses et ont même pris forme dans la réalité lorsqu'une douzaine d'organisations humanitaires ont été expulsées du Soudan dans les heures qui ont suivi le mandat. Les Darfouris vont encore souffrir, donc. Les négociations de paix avec le Mouvement pour la justice et l'égalité, principal groupe rebelle, sont déjà compromises. Le sort réservé à moyen terme aux forces de maintien de la paix de l'ONU présentes sur le terrain n'est pas clair. Et la guerre civile pourrait reprendre dans le Sud (où on a compté deux millions de morts en 20 ans).

Certes, la justice internationale a déjà fonctionné à l'aide de tribunaux ad hoc sur les tragédies au Rwanda, en Sierra Leone et au Kosovo. Mais la CPI, une institution permanente créée en 2002, en est à sa première opération d'importance, de sorte que la preuve initiale qu'elle doit faire est celle de son efficacité, à tout le moins relative.

Bref, la CPI est désormais un autre de ces grands corps internationaux dont l'agitation, notent les sceptiques, commence et finit trop souvent sur le papier. Rappelons que le Conseil de sécurité de l'ONU a pris des positions «fermes» à au moins 10 reprises sur le Darfour... dont celle de soumettre le cas aux procureurs de la CPI.

Celle-ci aura certainement réussi à placer Omar el-Béchir sur la liste des parias à l'échelle internationale.

Mais ensuite?