En février 2002, un centre de recherche sur le suicide de l'Université du Québec à Montréal émettait le postulat: «Le Québec a dit non aux accidents de la route et à la violence familiale (mais) existe-t-il un climat de tolérance à l'égard du suicide»? Sept ans plus tard, on pourrait poser la même question: l'incidence du suicide demeure élevée, alors que le nombre des victimes de la route ou du crime a notablement chuté.

La 19e Semaine de la prévention du suicide s'achève. Pendant ces quelques jours, une vingtaine de personnes, en écrasante majorité des hommes, auront mis fin à leur vie dans le silence et l'indifférence.

 

Chaque jour, en effet, trois personnes se suicident au Québec, donnant à la province un des plus tristes bilans des nations développées. En 2007, 1091 cas ont été officiellement répertoriés - mais il y en a davantage, plus ou moins déguisés. Il s'agit d'une baisse par rapport à l'année précédente, mais qui s'inscrit dans une tendance à la hausse sur le long terme depuis les années 60.

En fait, si les accidents de la circulation ou les actes criminels provoquaient une telle hécatombe, l'état d'urgence serait probablement déclaré!

Ainsi, en 2007 également, 608 personnes sont mortes sur les routes, 110 de moins que l'année précédente: néanmoins, on sait avec quelle vigueur l'État québécois a légiféré, réprimé et concocté des campagnes publicitaires chocs, parfois même violentes, destinées à enrayer le fléau. En 2007 encore, on a recensé 90 homicides (presque trois fois moins qu'un quart de siècle plus tôt!): on a tout de même investi 38 millions de dollars dans la lutte policière aux gangs de rue, par exemple, et diffusé des pubs-chocs, parfois même violentes, pour réprimer la violence en situation conjugale.

Et pour le suicide? À vous d'en juger.

Pourtant, on pourrait y faire quelque chose s'il n'y avait pas une telle «difficulté à parler du suicide, qui participe d'un double tabou lié à la mort et à la folie», estime (dans Libération) le psychiatre français Jean-Marc Limare, spécialiste de la question.

Selon lui, le suicide «abouti» (et non la tentative de suicide, qui relève d'une autre mécanique) est dans 90% des cas la conséquence d'une pathologie psychiatrique: c'est donc le facteur principal. Viennent ensuite des causes externes, dont la distension du lien social ou les difficultés socioéconomiques qui, fussent-elles marginales, font redouter la présente période de crise.

Au total, on comprend pourquoi les hommes sont particulièrement touchés.

Et, devant ces morts en série, on ne peut s'empêcher d'évoquer le rapport Rondeau (Les hommes, s'ouvrir à leurs réalités et répondre à leurs besoins), remis au gouvernement du Québec en janvier 2004, qui constatait la troublante inadaptation des systèmes de santé et de services sociaux à la nature des hommes.

Cinq ans plus tard, l'écran radar de l'État en a apparemment perdu la trace.

mroy@lapresse.ca