Une sérieuse dérive vers la censure que vit depuis quelques années un organisme de surveillance et d'enquête, la Commission canadienne des droits de la personne, doit cesser. C'est l'opinion de Richard Moon, professeur de droit à l'Université de Windsor, mandaté pour étudier cette anomalie. Celle-ci est à peu près totalement ignorée des médias québécois, pourtant des victimes potentielles de l'organisme fédéral. Quant à lui, le Canada anglais ne s'est ému qu'au moment où la Commission s'en est prise au prestigieux magazine Maclean's.

Le professeur Moon recommande au Parlement canadien d'abroger purement et simplement l'article 13 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

 

Cette provision légale, d'abord dirigée contre les discours haineux transmis par téléphone, s'est graduellement étendue jusqu'à l'internet... et, par voie de conséquence, à la presse écrite, puisque les journaux et périodiques offrent à peu près tous, aujourd'hui, une version virtuelle. C'est ainsi que Maclean's a été épinglé par la Commission, alertée par le Congrès islamique canadien, pour un article d'octobre 2006, signé par le journaliste Mark Steyn et intitulé (nous traduisons): «L'avenir appartient à l'islam».

Maclean's et Steyn ont été traînés devant deux autres commissions, celles de la Colombie-Britannique et de l'Ontario, dont le cadre d'intervention prend modèle sur leur cousine fédérale (la Commission québécoise n'a jamais accueilli de plaintes de cette nature).

Les trois recours ont été rejetés.Car toute l'affaire, qui aura mobilisé à grands frais des batteries d'avocats et de fonctionnaires, était fondée sur un article qui n'était pas haineux, mais simplement steynien, c'est-à-dire: rigoureux et factuel, certes, mais aussi lourdement polémique et éventuellement offensant.

Or, haineux et offensant, ce n'est pas la même chose.

Tout citoyen ou tout groupe a le droit d'être protégé contre les discours haineux appelant ou justifiant la violence. Mais il n'existe pas de telle chose que le droit de ne pas être offensé. C'est une nuance qui, en pratique, se perd dans l'article 13 et la façon dont on l'administre, à l'aide de procédures étrangères aux rigoureux critères légaux prévalant dans une cour criminelle.

Ainsi, Richard Moon estime que le Code criminel, justement, demeure l'instrument privilégié de l'État si tant est qu'il doive intervenir sur le terrain fragile et instable de la liberté d'expression.

Il écrit: «Pour exclure du discours public les propos stéréotypés ou diffamatoires visant les membres d'un groupe identifiable, il faudrait une intervention extraordinaire de la part de l'État, ce qui compromettrait sérieusement la volonté de la société de protéger la liberté d'expression. Il faut trouver d'autres moyens que la censure pour (les) contrer.»

La Commission canadienne des droits de la personne a réagi au rapport Moon en annonçant une consultation publique. Ce qui (sans vouloir offenser...) peut laisser présager la tentation de n'en tenir aucun compte.

Cela étant, il appartiendra aux acteurs politiques de prendre leurs responsabilités. Le député libéral Keith Martin, de la Colombie-Britannique, s'est déjà engagé: il serait rassurant de savoir qu'il ne demeurera pas seul, à l'autre bout du pays, à se battre pour la liberté d'expression.

mroy@lapresse.ca