D'une crise à l'autre depuis des siècles, le capitalisme n'en finit plus d'agoniser. Pourtant, il est toujours là, ce frêle vieillard qui a même trouvé la force, il y a presque 20 ans, de se lever de son grabat et de marcher jusqu'au cimetière pour enterrer son seul rival, l'autre système qui, lui, resplendissait de jeunesse et de santé.

Mais, cette fois-ci, pourra-t-on enfin clouer le cercueil?

Non. Le capitalisme ne peut pas mourir parce qu'il n'existe pas en tant que système unique et immuable. Aujourd'hui, mis à part les exceptions médiévales que l'on sait, toutes les économies nationales expérimentent des capitalismes presque aussi différents les uns des autres que le sont les diverses cultures. Et encore plus différents de ce qu'ils ont été dans le passé.

 

«Le capitalisme est un caméléon depuis qu'on l'a inventé, au XVIIe siècle», dit l'économiste, historien et essayiste Nicolas Baverez (dans Le Soir).

Malgré le proverbial rouleau compresseur de la mondialisation, en effet, il est impossible de confondre les systèmes en usage, par exemple, aux États-Unis, en France, en Russie, en Chine ou au Venezuela. Les différentes incarnations du capitalisme peuvent fonctionner dans un système autoritaire (mais pas totalitaire) de droite ou de gauche; elles s'adaptent à une démocratie à tendance libérale ou collectiviste; elles sont capables de gérer les ressources naturelles ou le savoir; elles se plient à la morale ou sombrent dans le banditisme, selon le contexte...

Autre chose: comment mourir dignement lorsqu'on n'a pas d'héritier?

Or, on ne connaît au capitalisme aucun système de remplacement. Les plus hostiles au marché ne se définissent pas en fonction d'une alternative, mais d'un rejet. Ainsi, la fine pointe de l'innovation mondiale en la matière, créature du Français Alain Besancenot, se présentera en janvier prochain comme le... «Nouveau parti anticapitaliste». C'est poétique. Mais ça ne constitue pas un programme.

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Le hic, c'est que le capitalisme marche mal.

Jamais dans le passé, et nulle part aujourd'hui, il n'a été ou n'est capable d'atteindre un état d'équilibre garantissant sur le long terme le profit, la fiabilité, le dynamisme, l'équité, l'accès à la richesse créée. Et, ce qui aggrave son cas, il est très perméable aux vicissitudes humaines...

Ça ne s'arrangera jamais totalement, il ne faut pas y compter.

Cependant, le capitalisme est muni de fusibles. Et l'un d'eux vient de sauter: sa version américaine contemporaine, la post-reaganienne, ne marche plus du tout, sa mise hors circuit jetant de l'ombre sur toute la planète. (Ceci dit sans parler d'autres problèmes propres aux États-Unis, qui ont moins à voir avec le capitalisme qu'avec les effets d'un lent déclin de civilisation, inéluctable destin de toute grande puissance.)

Il faudra inventer encore une nouvelle version du capitalisme, adaptée au XXIe siècle et à un cadre moral beaucoup plus exigeant, qui marchera le moins mal possible, le plus longtemps possible.

Ce n'est pas poétique. Mais ça peut constituer un programme.