Les républicains de John McCain sont d'obédience conservatrice, c'est entendu. Mais de quelle sorte de conservatisme s'agit-il? Et que dit au juste à ce sujet l'irruption fracassante de Sarah Palin dans la campagne électorale américaine?

En fait, le conservatisme inusité qu'offre le duo semble avoir moins à voir avec la doctrine traditionnelle possédant de profondes assises dans l'histoire des États-Unis, qu'avec cette sorte de populisme bas de gamme dont se nourrissent les extrêmes, à droite comme à gauche. Le conservatisme classique est fait notamment du respect de l'intelligence et d'une prudente sagesse; de la prise en compte de la connaissance et de l'expérience héritées. La doctrine McPalin exprime plutôt le rejet de tout cela.

 

«N'importe qui peut être président des États-Unis!» parodiait une hilarante doublure de Sarah Palin, l'actrice Tina Fey, à l'émission Saturday Night Live du week-end dernier. De fait, il s'agit du message qu'a envoyé John McCain en choisissant sa colistière. Le sous-texte étant: un homme ou une femme ordinaire, NASCAR dad ou hockey mom, possédant les qualités que confère automatiquement ce statut, dirigera la nation de façon plus adéquate que les élites diplômées et expérimentées de Washington.

Le grand slogan républicain n'est-il pas qu'il urge de «nettoyer» Washington - et dorénavant, Wall Street aussi?

À strictement parler, il s'agit de maoïsme recyclé À la belle époque de la Révolution culturelle, ne fallait-il pas envoyer les médecins aux champs puisque les paysans, dûment équipés de la science prolétarienne infuse, sauraient fort bien se débrouiller en salle d'opération? Or, c'est faux: outillé d'un bistouri, un paysan ne produira que des cadavres - et il se peut que, aux commandes d'une moissonneuse-batteuse, un médecin en sème aussi!

Bien sûr, chacun connaît au moins un imbécile diplômé et un radoteur plein d'expérience. Les élites - toutes les élites - peuvent se tromper et tromper, trahir et voler.

Mais s'il existe bel et bien une sagesse populaire, c'en est une non de l'individu, mais du grand nombre - une «sagesse des foules», comme l'a documenté sous ce titre l'essayiste américain James Surowiecki. Dans le champ politique, elle se vérifie par le choix perspicace du leader qui convient à un moment donné de l'histoire d'une nation: en moyenne et sur le long terme, le peuple se trompe peu, en effet.

Telle qu'elle se présente en ce début de campagne, la doctrine McPalin ne détruit pas que la richesse intellectuelle héritée du passé, mais aussi celle qu'il importe d'accumuler à l'avenir.

La joyeuse hystérie que provoque infailliblement le slogan «Drill, baby, drill!», nouveau mantra des républicains, est une incantation à la gloire de l'ère du fer et du feu, dont l'icône est un ouvrier (possiblement natif d'une small town) suant sang et eau sur une machine fumante et vrombissante pour nourrir sa famille et servir la nation.

Quelle image pourrait faire plus «peuple», n'est-ce pas?

Le hic, c'est que cette époque agonise: la demande de pétrole devant augmenter de 70% d'ici 2050, on aura beau forer tant et plus, ça ne suffira pas. De sorte que «Drill, baby, drill!» sert en réalité de frein à la recherche et au développement, ces activités auxquelles se livrent les élites de la science et de la technologie.

Dans le passé, le conservatisme américain classique a été capable de produire de la nouveauté en quantité industrielle. La doctrine McPalin n'en annonce aucune: c'est l'aspect le plus déprimant de ce populisme simplet.

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