Le bourreau empoigne la femme drapée de noir par les cheveux. Il tire sa tête au sol et interrompt ses cris d'innocence en la frappant à deux reprises au cou avec son sabre. D'un pas posé, il contourne le corps immobile et frappe une troisième fois, complétant la décapitation avant d'essuyer la lame ensanglantée sur ses vêtements.

La vidéo insoutenable de l'exécution publique à La Mecque d'une ressortissante birmane condamnée pour agression sexuelle a suscité une onde de choc en janvier. Elle s'est vite résorbée et les décapitations se sont poursuivies de plus belle.

Dans le cas du blogueur saoudien Raif Badawi, qui a été soumis à une séance de flagellation publique à la même époque, le caractère rétrograde du châtiment imposé a suffi pour générer un mouvement de protestation qui perdure.

La flagellation n'a pas repris, hier, mais l'homme de 31 ans est loin d'être tiré d'affaire. Ses écrits pour la séparation des pouvoirs politique et religieux ont été reçus comme un acte de défiance inacceptable par le régime saoudien, qui repose, rappelle le politologue Sami Aoun, sur un pacte entre « l'autel et le sabre ».

La famille royale et les religieux rigoristes du courant wahhabite qui le soutiennent, tout en exigeant des gages de conservatisme, n'entendent pas relâcher leur emprise sur le pouvoir.

Riyad, riche de pétrole, est bien placé pour résister aux pressions extérieures et fait généralement la sourde oreille aux dénonciations provenant du monde occidental sur la question des droits de la personne.

Les États-Unis et nombre de pays européens ont dénoncé la situation de M. Badawi, sans pour autant rompre avec « l'ami » saoudien, qui constitue un partenaire commercial de premier plan et un allié géostratégique clé pour nombre d'entre eux.

Seule la Suède - qui a suscité l'ire de Riyad en fustigeant une sentence « moyenâgeuse » - a poussé plus loin en refusant de reconduire un accord de coopération militaire.

Le Canada n'envisage rien de tel. Alors que Québec tente, dans la mesure de ses moyens, de soutenir la famille de l'activiste, qui est réfugiée à Sherbrooke, le gouvernement fédéral se borne à réitérer sa « préoccupation » devant une peine décrite comme une « violation de la dignité humaine ».

La polémique liée à la conclusion d'un important contrat de ventes de véhicules blindés à l'Arabie saoudite par une firme ontarienne suggère que le gouvernement fédéral est prêt à se montrer peu regardant sur la question des droits de la personne lorsque les intérêts économiques du pays sont en jeu.

Plutôt que de chercher à préserver la chèvre et le chou, le premier ministre Stephen Harper devrait s'investir personnellement dans le dossier et interpeller le régime saoudien au plus haut niveau.

Ottawa ne peut se contenter d'un cynique calcul de realpolitik. Raif Badawi et ses proches méritent mieux. Les droits de la personne aussi.

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