Au 40e km, horreur, le «lapin» de 3h30 vient de me doubler. Le «lapin», c'est le coureur aguerri qui donne la cadence pour compléter une épreuve en un temps précis. Et 3h30, c'est le chrono que je dois battre à Ottawa afin de me qualifier pour le marathon de Boston, le plus prestigieux du monde.

Depuis le départ, je ne me suis pas préoccupé du «lapin», je préférais courir à mon rythme. Mais là, je m'accroche à lui, et à mon rêve. Je ne peux pas décrocher si près du but, je ne veux pas décevoir ma fille de 16 ans, Marianne, qui m'attend anxieusement à l'arrivée.

Mes jambes sont lourdes, mon souffle est court, j'ai l'impression d'avancer au ralenti sous la pluie. Mais après avoir parcouru les deux derniers kilomètres qui m'ont paru une éternité, je franchis finalement la ligne d'arrivée: 3h29.25 à ma montre. J'ai mon laissez-passer pour Boston.

Dans le parc du Centenaire, où les coureurs retrouvent leurs proches, Marianne me retrace au milieu de la foule, elle accourt vers moi. Je me jette dans ses bras, euphorique, mais transi et complètement vidé. À mon sourire, elle devine que j'ai réussi. Puis, en posant ma tête sur son épaule bienveillante, j'éclate en sanglots. Les yeux embués, ma Princesse me serre très fort.

Marianne sait comment le pari que je viens de gagner me tenait à coeur, combien j'avais trimé à l'entraînement. Elle réalise aussi que son papa vient de prendre une douce revanche sur le destin: l'année précédente, j'avais dû déclarer forfait au 24e km. Une hernie abdominale avait saboté mon marathon. Marianne, mon fils Guillaume et ma belle-fille Ariane avaient été les témoins, impuissants mais solidaires, de ma déveine.

Cette fois-ci, les pleurs de frustration ont fait place aux larmes d'allégresse. Et, niché au creux de l'épaule de ma grande, que je berçais il n'y a pas si longtemps, je me sentais tellement privilégié, en ce dimanche de mai 2007. Tout d'un coup, les rôles étaient inversés: c'était ma fille, enveloppante, qui veillait sur moi.