Le baril de pétrole se négociait à 423 yuans chinois hier. Vous en perdez votre mandarin? Pas grave, vous avez encore quelques années pour vous y faire. Mais selon ce que prévoient certains experts, le jour où le dollar américain se fera détrôner comme monnaie de réserve internationale pourrait survenir plus vite qu'on le pense.

Pourquoi en faire tout un plat? Les bénéfices rattachés au statut de première monnaie mondiale ne sont pas négligeables. L'hégémonie du dollar procure, entre autres, au gouvernement américain, et à ses consommateurs, les taux d'emprunt les plus bas sur le marché international.

 

Avant la crise économique qui a déboulonné les colonnes de l'empire américain, juste soulever cette hypothèse aurait relevé de l'hérésie. Mais depuis quelques semaines, des puissances commerciales, dont la Chine et la Russie, ont égratigné l'ego de l'oncle Sam en remettant ouvertement en question le statut privilégié du dollar américain. D'ici 10 ou 15 ans, le renminbi - autre nom donné au yuan - pourrait le pousser en bas de son piédestal.

Les astres semblent s'aligner en ce sens. Les États-Unis sont de plus en plus endettés alors que la Chine, leur principal banquier, peut compter sur des réserves monétaires phénoménales. Leurs déficits abyssaux pourraient même coûter aux États-Unis sa cote AAA. D'ici un quart de siècle, la Chine ajoutera vraisemblablement l'insulte à l'injure en raflant aux Américains le titre de première économie mondiale.

Dans une chronique récemment publiée dans le New York Times, l'économiste Nouriel Roubini, qui s'est rendu célèbre en prédisant la crise actuelle, soutient que le renminbi pourrait dominer le marché monétaire du XXIe siècle, comme le dollar américain a régné au XXe.

Évidemment, cela n'arrivera pas du jour au lendemain. Mais des indices laissent croire que le gouvernement chinois est en train de semer les graines qui vaudront avant longtemps au yuan de supplanter le dollar américain comme valeur refuge.

Premier obstacle à surmonter: Pékin doit lever les restrictions entourant la libre circulation du yuan. Tant que sa devise ne sera pas pleinement convertible, elle ne peut remplir les critères de liquidité inhérents à une monnaie de réserve. Mais la Chine y travaille. Ces derniers mois, question de promouvoir son yuan tout en contournant le billet vert, elle a multiplié les accords d'échanges de devises avec plusieurs pays. Le Brésil souhaite d'ailleurs ne plus échanger en dollars US avec la Chine, devenue son principal partenaire commercial.

De plus, le taux de change du yuan devra aussi devenir flexible, il devra flotter face aux autres devises.

Ce passage du flambeau aurait éventuellement des répercussions sur l'économie canadienne. Si les Américains paient davantage d'intérêts pour financer leur dette colossale, ils se retrouveront avec moins d'argent dans leurs poches. Moins d'argent, donc, pour consommer des produits canadiens. Une raison supplémentaire pour le Canada, qui exporte 75% de sa production aux États-Unis, de réduire sa dépendance envers son voisin du Sud.

La suprématie du billet vert tire-t-elle vraiment à sa fin? Ses jours comme monnaie toute-puissante de la planète financière ne sont pas encore comptés, mais ses années, peut-être bien que oui.

jbeaupre@lapresse.ca