« C’est le temps, et le temps seul, qui permet une juste analyse des valeurs. » La phrase est de Roger Taillibert. Elle est tirée de son livre Construire l’avenir. Et elle apparaît terriblement pertinente au lendemain de sa mort.

Ce starchitecte avant le temps a laissé à Montréal un immense legs, le Stade olympique. Un stade unique, épique même, qui ne laisse personne indifférent. Un stade qui fait partie de l’histoire tumultueuse de la ville et qui définit sa ligne d’horizon.

Avec la disparition du maître d’œuvre des installations olympiques vient ainsi une question qu’on n’a encore jamais osé se poser collectivement : est-il temps, plus de 40 ans après les Jeux, de classer cet ensemble architectural monument historique ?

Disons-le : le Parc olympique est la grande œuvre de Taillibert, plus encore que le Parc des Princes à Paris et que le stade Khalifa de Doha. C’est un ensemble architectural d’une qualité exceptionnelle enveloppé de terrasses, de rampes et de passerelles tout en courbes. On retrouve en son centre une immense sculpture qui semble en apesanteur, ce fameux stade de forme elliptique flanqué d’une haute tour inclinée qui défie la gravité.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

« Un stade unique, épique même, qui ne laisse personne indifférent », souligne François Cardinal.

Il suffit de l’apercevoir, même de très loin, pour comprendre pourquoi il est devenu le symbole de Montréal à l’étranger, plus encore que des œuvres de classe mondiale comme Place Ville Marie de Ieoh Ming Pei et la Biosphère de Richard Buckminster Fuller.

Mais voilà… on peut bien vanter les prouesses d’ingénierie et d’architecture qui ont vu naître ce mastodonte de béton, ce n’est pas tout à fait ce qui vient en tête des Québécois quand ils pensent au Stade.

Car il est plutôt mal aimé, ce stade, du moins par les plus âgés qui se rappellent son coût, son toit, etc.

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Match des Expos en mai 2003

Le site n’est tout simplement pas « purgé des controverses dont l’achèvement du Stade a été l’objet », note ainsi la professeure d’architecture France Vanlaethem dans la vaste étude patrimoniale du Parc olympique qu’elle vient de terminer (d’où provient d’ailleurs la phrase de Taillibert citée en début de texte).

« Rares sont les sites dont l’appréciation est aussi ambivalente », ajoute-t-elle en citant un seul équivalent étranger… la tour Eiffel. À la fois admirée et honnie des contemporains.

Il y a d’ailleurs là un clin d’œil historique amusant, car la tour du Stade olympique était une façon de doter Montréal d’une tour monument à l’image de celle de Paris, justement. Une des nombreuses marottes du maire Jean Drapeau à l’époque.

PHOTO RYAN REMIORZ, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le Stade olympique sans son toit lors d’un match entre les Expos de Montréal et les Astros de Houston en mai 1998

Cela dit, le manque d’amour pour le Stade olympique n’est pas un détail négligeable. Car il est de plus en plus convenu chez les experts du patrimoine que le classement d’immeuble doit tenir compte de l’attachement de la communauté, de la volonté de la population de protéger un bien qu’elle juge important.

D’où la question : veut-on, collectivement, classer cet ensemble architectural pour la postérité ?

Il faut savoir que le lieu jouit déjà d’une reconnaissance municipale en tant que secteur de valeur patrimoniale exceptionnelle. Mais cela n’a rien de contraignant.

Rien n’est réellement protégé à l’intérieur des bâtiments, car le Parc olympique n’a jamais obtenu de reconnaissance au titre de la loi québécoise sur les biens culturels.

Une omission jugée inacceptable par l’ancienne présidente du comité-conseil portant sur l’avenir du Parc olympique, Lise Bissonnette. En 2012, elle disait avoir « peine à imaginer que le classement d’un tel ensemble comme monument historique n’ait jamais été sérieusement envisagé et entrepris ».

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PPRESSE

Le Stade olympique continue de dominer la ville de Montréal

Avec raison. Le Parc olympique a une valeur culturelle et patrimoniale évidente. Il a marqué l’histoire de la métropole. Il est lié à de grands événements. Il est l’œuvre de personnages plus grands que nature. Il rappelle l’époque où Montréal se projetait dans l’avenir, se rêvait une destinée internationale et se croyait capable de tout faire.

Une quarantaine d’années après les Jeux, la valeur du secteur qui les a accueillis est indéniable. S’il y a donc un ensemble moderne qui mérite un statut patrimonial national dans cette ville où les chefs-d’œuvre architecturaux contemporains sont plutôt rares, c’est bien le Parc olympique. Avec tout ce qu’il représente, toute son histoire, tout le bagage qu’il charrie, le positif comme le négatif.

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