Andrew Scheer est contre la taxe sur le carbone.

On le sait.

Il l’a dit. Redit. Et redit encore une fois, hier, en rencontre éditoriale à La Presse.

La haine qu’il voue à la tarification de la pollution est au cœur de son action politique, au point qu’il promet d’en faire le sujet de son tout premier projet de loi.

Voilà qui est clair.

Mais pour le reste, que retient-on précisément des engagements d’Andrew Scheer depuis qu’il a été nommé chef il y a deux ans ? Quelles sont ses priorités, à part remettre de l’argent « dans les poches » des contribuables ? Quelle sorte de premier ministre ferait-il ? Qu’est-ce qui le distingue de Stephen Harper, à part le sourire ?

Encore dur à dire, soyons honnêtes.

On sait de lui qu’il est un « vrai conservateur », avec un petit c. Favorable au libre marché. Pour une réduction des taxes. Il croit en Dieu, aux valeurs familiales ainsi qu’à la loi et l’ordre. Il n’aime ni Justin Trudeau, ni la bureaucratie, ni les déficits.

Soit. Mais un certain flou demeure sur sa façon d’exercer son leadership, sur sa capacité à diriger, sur ses positions sur plusieurs dossiers.

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Andrew Scheer, hier, de passage dans les bureaux de La Presse

Pensons aux finances publiques, qu’il promet d’équilibrer sans dire comment il y parviendra sans compressions.

Pensons à l’immigration, où il souffle le chaud et le froid, s’y disant très favorable… tout en refusant de dire ce qu’il ferait des seuils d’accueil.

Et pensons, bien sûr, aux questions morales, comme l’avortement et le mariage entre personnes de même sexe, où il lui aura fallu plusieurs jours pour clarifier ses positions.

Pas étonnant que les libéraux aient lancé une attaque à ce sujet récemment pour tenter de définir leur adversaire : ils savent que les Canadiens cherchent encore à comprendre qui est vraiment Andrew Scheer.

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Pour en savoir plus sur le leader des troupes conservatrices, il importe de lire ses cinq discours fondateurs, qu’il a prononcés plus tôt cette année. Des discours qui forment sa « vision pour le Canada* ».

Bien écrits. Efficaces. Truffés de références historiques à Diefenbaker, à la guerre de 1860, aux pères fondateurs. Ces discours montrent qu’Andrew Scheer est finalement plus proche des opinions de l’électorat québécois qu’on pourrait spontanément le penser sur certains enjeux.

Sa volonté d’atteindre l’équilibre budgétaire en cinq ans peut plaire, par exemple.

Son désir de créer un corridor énergétique en se servant notamment de l’hydroélectricité.

Ses positions sur la politique étrangère, également, qui le distinguent vraiment de son prédécesseur. M. Scheer n’est allergique ni au multilatéralisme ni aux institutions internationales, si bien que son discours pourrait (quasiment) être prononcé par Justin Trudeau.

La vision que porte M. Scheer sur la fédération a aussi le potentiel de résonner au Québec. Dans la tradition décentralisatrice des conservateurs, il promet un fédéralisme d’« ouverture », un fédéralisme « coopératif » qui repose sur un « véritable respect des compétences provinciales ».

Et quelques promesses en font foi. La mise en place d’une déclaration de revenus unique au Québec, qu’il promet dans les 100 premiers jours. La hausse des transferts en santé. Ou encore la « marge de manœuvre » promise au Québec en immigration.

Voilà qui peut résonner après quatre années d’un gouvernement libéral centralisateur, qui a parlé de fédéralisme collaboratif… tout en faisant exactement le contraire.

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Cela dit, le Parti conservateur a beau se rapprocher d’une portion de l’électorat québécois sur certains enjeux, il continue de traîner la patte dans les sondages par rapport aux libéraux.

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Andrew Scheer était de passage hier pour une entrevue éditoriale à La Presse. Il est accompagné sur la photo de notre éditorialiste en chef, François Cardinal.

La popularité de Justin Trudeau explique en partie cette situation. La présence du Bloc québécois aussi. Mais il y a fort à parier que les positions du Parti conservateur sur l’environnement lui nuisent également.

Voilà un enjeu où il semble y avoir un schisme entre les conservateurs et les Québécois, dont une étude révélait justement cette semaine qu’ils sont les plus inquiets face aux aléas climatiques.

Or, le plan dévoilé par M. Scheer au mois de juin dernier ne l’aidera pas beaucoup sur ce front. Oui, les conservateurs ont un plan, dans le sens où ils ont détaillé le chemin qu’ils comptent suivre.

Ce chemin, essentiellement, se résume en une utilisation accrue de la technologie plutôt qu’un recours à des mesures fiscales punitives. Comme à l’époque de Stephen Harper, on pense ainsi pouvoir réduire l’intensité des gaz à effet de serre, c’est-à-dire la quantité de polluants pour une même unité de production.

Mais cela ne veut pas dire que les émissions de gaz à effet de serre du pays baisseront. Au contraire, même, si on se fie à l’analyse du professeur Mark Jaccard de l’Université Simon Fraser, qui conclut qu’ils augmenteront plutôt à l’horizon 2030.

Difficile, dans ce cas, de parler d’un véritable plan de lutte contre les changements climatiques… D’autant plus que l’abolition de la tarification du carbone reviendrait à éliminer LA mesure la plus efficace pour réduire les émissions polluantes, selon bien des experts.

À quel point est-ce que cela va jouer le soir des élections ? Ce n’est pas clair. L’environnement a beau faire partie des priorités des électeurs, on n’a encore vu aucun gouvernement être élu ou défait sur cette question.

Reste que le chef conservateur aurait intérêt à concentrer ses énergies non pas à répéter sa haine de la taxe carbone, mais à préciser sa pensée sur plusieurs enjeux. Il aurait intérêt, autrement dit, à se faire connaître pour l’ensemble de ses positions plutôt que sur la plus douteuse.

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