Le ministre François Bonnardel a dévoilé cette semaine un projet de loi audacieux qui met fin à la gestion de l'offre du taxi au Québec. Il modernise ainsi une industrie dont les règles préhistoriques bloquaient toute innovation, toute évolution du transport rémunéré des personnes.

Or ce projet de loi, s'il avait été déposé ne serait-ce qu'un an plus tôt, aurait permis grâce à la tarification dynamique de sauver l'entreprise Téo, ses véhicules verts et ses centaines d'emplois.

La question se pose donc : est-ce que son fondateur Alexandre Taillefer était trop en avance sur son temps... ou est-ce le gouvernement qui, justement, a trop pris son temps ?

À la lumière de la vitesse avec laquelle la CAQ a réussi à élaborer son volumineux projet de loi, six mois à peine après avoir pris le pouvoir, on peut de toute évidence répondre que c'est la lenteur du régulateur qui a tiré une entreprise prometteuse vers le bas.

Mettons de côté l'ironie de cette situation, qui a vu un gouvernement libéral nuire à une entreprise fondée par l'ancien président de la campagne électorale libérale, et attardons-nous au fond de l'histoire. Car elle résume à elle seule l'un des grands défis de notre époque : celui des gouvernements incapables de s'adapter au développement rapide des technologies.

Une incapacité à réagir qui a des conséquences bien réelles en favorisant les multinationales étrangères aux dépens d'entreprises locales...

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Lorsqu'ils étaient au pouvoir, les libéraux ont longtemps tergiversé dans le dossier Uber. Un jour ils étaient pour, le lendemain contre, et le surlendemain, ils repartaient la réflexion à zéro. Un peu comme les libéraux fédéraux avec Facebook et Netflix.

Mais pendant qu'ils consultent, qu'ils repoussent et reportent, les élus jettent de l'incertitude dans le marché visé. Les entreprises ne savent plus trop comment réagir face à ces signaux contradictoires.

Pour les grands acteurs aux poches profondes, ce n'est pas trop un problème. Ils ont les ressources pour attendre, mais aussi pour mettre de la pression, contester et embaucher avocats et lobbyistes. Rappelez-vous l'omniprésence médiatique d'Uber en 2015.

Mais les entreprises locales, plus petites et fragiles, ne peuvent se permettre la même patience. Et elles ne peuvent jouer les cowboys comme l'a fait Uber à coup d'intimidations et d'ultimatums. Elles sont forcées de respecter les procédures, d'attendre sagement et de faire valoir leur point poliment.

Résultat : Uber est toujours là, pas Téo.

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Au coeur de cette triste histoire économique, il y a un règlement tout bête : celui qui fixe la tarification des taxis.

En gros : la tarification actuelle est basée sur le kilométrage et le temps. En haut de 23 km/h, le taximètre établit la somme selon la distance parcourue ; mais en bas de cette vitesse, il fait payer quelques sous à la minute, ce qui rapporte très peu.

Or cette façon de faire pénalisait Téo. Car la demande augmente lorsqu'il y a un évènement comme un match de hockey, une panne de métro ou une tempête de neige. Mais c'est précisément dans ces moments-là que la circulation est au ralenti. Et donc, que Téo faisait le moins d'argent.

Autrement dit : plus la demande pour des taxis était forte... moins l'entreprise faisait de l'argent !

De toute évidence, cette règle est viciée et doit être revue, du moins pour les entreprises qui le souhaitent.

Mais malgré les appels répétés d'Alexandre Taillefer et de son équipe auprès du gouvernement et de la Commission des transports du Québec pendant plus de deux ans, la règle est restée la même... sauf pour Uber. À qui l'on a gracieusement offert la tarification dynamique.

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Aujourd'hui, le gouvernement Legault propose enfin de niveler le terrain, d'assouplir les règles et d'offrir à tous la tarification variable.

Il était temps, même si cela frappera certains propriétaires de permis, qui seront d'ailleurs compensés financièrement grâce à une enveloppe totale de 500 millions. Les chauffeurs, pour leur part, en sortiront gagnants, de même que les clients.

Certes, il y a des failles dans le projet de loi Bonnardel, à commencer par l'absence de plafond sur le nombre de véhicules autorisés, ce qui risque d'augmenter la congestion plutôt que l'inverse, comme on l'a vu à Londres et New York.

Mais son dépôt rapide démontre au moins qu'il est possible de bouger vite lorsque voulu. Et tant mieux si cette réponse permet au futur acheteur de Téo de ressusciter l'entreprise. On ne serait pas surpris, d'ailleurs, si l'un expliquait l'autre.

Ce que montre plus largement l'histoire d'Uber et de Téo, c'est que la lenteur du régulateur n'est pas sans conséquence.

Alexandre Taillefer dit avoir perdu entre 15 et 20 millions de dollars en raison de l'absence d'une tarification adaptée.

Une perte de revenus qui aura malheureusement fait pencher la balance du côté de la faillite plutôt que de la survie.

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Le fondateur de Téo a-t-il commis des erreurs ? C'est certain. Les habitués du service se rappelleront de la première mouture de l'application. Ou de l'offre parfois insuffisante qui faisait grimper le temps d'attente en raison du manque d'autonomie des véhicules.

N'empêche, le Québec aura failli à épauler un entrepreneur qui a osé défier les grands acteurs américains en proposant une solution locale et verte, avec des véhicules électriques à la fois agréables pour les passagers et bons pour l'environnement.

Le gouvernement aura accepté d'appuyer financièrement Téo, et c'était la chose à faire. Mais avec sa réglementation, il aura nui à une start-up d'ici, tout en facilitant la vie à une multinationale étrangère.

L'État a un rôle à jouer en offrant des subventions, mais il en a aussi un à jouer à titre de régulateur, afin de s'assurer que sa réglementation n'empêche pas son aide de fructifier.

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