En se lançant dans une vaste réflexion sur l'euthanasie, le suicide assisté et la mort dans la dignité, en 2012, le Québec avait osé aborder, avec courage et maturité, un enjeu délicat que les sociétés préfèrent habituellement balayer sous le tapis.

Il est temps, en 2019, d'en faire autant avec un autre malaise social tout aussi fondamental : la maladie mentale.

Ce sujet encore tabou nous gêne, il nous dérange, nous ébranle.

C'est un problème qui se vit dans la honte, que les victimes et leur entourage gardent trop souvent pour eux, si bien qu'on en sous-estime collectivement les ravages.

Oui, la santé mentale fait les manchettes périodiquement, quand un sans-abri tombe sous les balles d'un policier ou qu'un hôpital donne son congé à un patient aux idées suicidaires. Mais aussitôt racontés, ces drames sont éclipsés, oubliés.

C'est ce qui est arrivé juste avant les Fêtes. Il y a eu l'histoire d'Oli, jeune homme dans la fleur de l'âge qui s'est donné la mort avec un fusil de chasse mal entreposé. Il y a eu le cas de Jean-François Lussier, ce père de famille en détresse que les psychiatres ont laissé partir avec des brochures plutôt qu'avec de l'aide.

Et il y a eu ce tsunami de réactions de parents, de professionnels, de médecins qui ont tour à tour déploré que la santé mentale soit le véritable parent pauvre du réseau.

Puis... plus rien.

Le retour à la normale.

Les vacances.

Les Fêtes.

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On peut bien essayer de se convaincre que la maladie mentale concerne les quelques cas médiatisés ou ces personnes qui mendient sur notre chemin, mais la vérité, c'est que le problème est beaucoup plus répandu, et sournois.

Imaginez : un Québécois sur cinq souffrira un jour d'une maladie mentale. Ajoutez à cela les parents, amis et collègues qui feront de leur mieux pour les aider, et vous arrivez à des millions de personnes qui vivront de la frustration et de la détresse en silence.

Et ce nombre, déjà énorme, on peut prévoir qu'il augmentera avec le temps si l'on se fie au dernier rapport de l'Institut de la statistique du Québec. Un rapport auquel on n'a peut-être pas accordé assez d'importance collectivement.

La conclusion est accablante : la maladie mentale, l'anxiété, la dépression, les troubles alimentaires sont en forte hausse... chez les plus jeunes !

Et pas juste un peu : le nombre d'élèves au secondaire ayant un niveau élevé de détresse psychologique est passé en six ans de 21 à 29 %. On n'est pas loin du tiers des jeunes ! Et la même chose se constate au cégep et à l'université, ce qui a d'ailleurs incité l'Union étudiante du Québec à faire de la santé mentale l'une de ses grandes priorités.

Et pourtant, combien d'argent consacre le gouvernement du Québec à la santé mentale ? À peine 6 % des dépenses de programme du ministère de la Santé.

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Voilà pourquoi la députée libérale Hélène David a profité de sa toute première question dans l'opposition, lors de la courte session parlementaire de novembre dernier, pour interpeller le gouvernement Legault sur le « mal du siècle ».

On a peu entendu parler de cette intervention, qui se voulait non partisane, mais il vaut la peine de la ramener sur le tapis en ce début d'année. Mme David, psychologue de formation, a tendu la main à la ministre de la Santé, Danielle McCann, pour qu'elle lance une vaste consultation sur la santé mentale en 2019, à l'image de celle sur le droit de mourir dans la dignité.

Cette demande, c'est aussi celle du milieu de la santé mentale, puisque bon nombre de spécialistes ont réclamé la tenue d'états généraux dans les derniers mois tant les problèmes sont nombreux et le manque de ressources, criant.

En entrevue avec La Presse, la ministre McCann dit comprendre la demande, mais confie qu'elle préfère l'action à la consultation. « Oui à une démarche de mobilisation, dit-elle, mais on a une assez bonne idée de ce qu'il faut faire. Il est donc important de passer à l'action rapidement, notamment en protégeant les budgets dédiés à la santé mentale, ce qui n'a pas été fait dans le passé. »

C'est vrai, et la volonté de la ministre, qui reconnaît que la santé mentale est le parent pauvre du réseau, est louable. Mais à l'origine des problèmes précis auxquels il faut certainement apporter des budgets et des solutions concrètes, il y a un énorme malaise entourant la santé mentale, dans la société en général autant que dans le corps médical, qui nous empêche collectivement d'y accorder l'importance qu'elle mérite.

C'est pour cette raison, notamment, que la Colombie-Britannique a eu l'audace de créer carrément un ministère de la Santé mentale et des Dépendances.

Dans un contexte où Québec doit de toute façon renouveler le plan d'action gouvernemental en santé mentale, qui vient à échéance en 2020, la tenue d'une vaste consultation permettrait d'aborder l'enjeu franchement en impliquant tout le monde, y compris les familles des personnes atteintes. Ces dernières réclament depuis longtemps d'être entendues et, surtout, d'être davantage reconnues par les équipes soignantes.

« S'il y a une chose que j'ai apprise en politique, note Hélène David, c'est que quand on veut bien faire le tour d'un enjeu, il faut se tenir loin de la partisanerie, prendre tout le temps nécessaire, et consulter de la manière la plus large et proche possible des gens. »

Et jamais le contexte n'a été aussi propice, avec cette hausse de la détresse chez les jeunes, le documentaire d'Alexandre Taillefer sur le suicide de son fils et tous ces proches de victimes qui ont décidé de parler ouvertement.

Il faut canaliser cette volonté pendant qu'elle passe, seule façon de briser le tabou qui entoure encore la maladie mentale.

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