Avez-vous remarqué que « le peuple » est toujours du côté de la personne qui s'en réclame ?

Les partisans de la CAQ affirment que « le peuple » veut plus d'argent dans son portefeuille, moins d'immigrants et une laïcité plus stricte. Parce que c'est bien connu : il rejette le progressisme mondain des élites urbaines.

Tandis que du côté de QS, on estime que « le peuple » veut plutôt se battre contre les forces néolibérales, les inégalités et la stigmatisation des minorités. Parce qu'il s'oppose à la polarisation dangereuse des identitaires.

Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il est dur à suivre, « le peuple », alors que tout le monde prétend en être la voix ces jours-ci...

Parler du peuple comme on le fait d'une nation ou d'une population, passe encore. Quand on évoque les deux peuples fondateurs, par exemple, on parle d'un groupe d'individus qui appartiennent à une même culture.

Mais parler du peuple en lui attribuant une position politique, des revendications, des besoins communs ? À une époque où les courants politiques n'ont jamais été aussi fragmentés ? Vraiment ?

Les lignes de fracture sont en effet si nombreuses, aujourd'hui, qu'on voit mal comment « le peuple » pourrait avoir une opinion arrêtée. Il est de droite ou de gauche, le peuple ? Il est « diversitaire » ou nationaliste ? Il veut des baisses d'impôt ou une meilleure redistribution ? Il épouse les idées des régions ou des grandes villes ?

Pas étonnant que les acteurs politiques parlent au nom d'un peuple générique qui aurait toujours raison... et qui pense comme eux, bien sûr.

Si l'on en croit les commentateurs nationalistes, par exemple, « le peuple » réclamerait une réduction des seuils d'immigration. La preuve étant que 64 % des Québécois le demandent (CROP). Mais curieusement, ces mêmes commentateurs n'oseraient jamais dire que « le peuple » est fédéraliste... même si 63 % des Québécois s'opposent à la souveraineté (Léger).

On a donc « le peuple » à géométrie variable. Et on évite soigneusement de le définir en se contentant de parler au nom du « vrai monde ». Et ce, qu'on soit de droite ou de gauche.

Prenez Québec solidaire, qui se présente comme la voix du peuple même s'il n'a récolté que 16 % d'appuis électoraux. Il a récemment dit être prêt à « prendre la rue » au nom du « peuple québécois » contre ceux qui imposent des politiques conservatrices.

Donc, ce peuple québécois, ce sont les gens moins nantis, ceux qui ont voté QS, ceux qui penchent à gauche, ou les citoyens en général ? Le flou est savamment entretenu.

Bien sûr, il peut survenir de manière ponctuelle de véritables mouvements populaires qui témoignent d'un désarroi largement répandu. C'est ce qu'on voit en France avec les gilets jaunes. C'est ce qui a déclenché le Printemps arabe. C'est ce qui a alimenté les manifestations des casseroles au Québec il y a six ans.

Mais parler constamment du « peuple » en 2018 pour légitimer ses propres positions est hasardeux. Ce peut même être dangereux, à la minute où ce « peuple » devient une construction politique en opposition à d'autres groupes qui lui feraient prétendument obstacle.

On plaque ainsi une illusion de consensus social sur les idées qu'on défend, façon commode de gommer les nuances et les voix discordantes.

C'est ce qu'a fait Gabriel Nadeau Dubois quand il a appelé les électeurs à tourner le dos à « la classe politique actuelle qui a trahi le Québec depuis 30 ans ». Et c'est ce que font les commentateurs qui se positionnement constamment contre les bien-pensants et les élites multiculturalistes qui « mépriseraient » le vrai monde.

Sous des dehors rassembleurs, le recours au « peuple » devient ainsi une façon de parler de « nous » en opposition à « eux ». Une façon de polariser. Une façon d'inclure autant que d'exclure, comme le note le politologue Yascha Mounk dans Le peuple contre la démocratie.

On postule ainsi, écrit-il, « un groupe uni autour d'une ethnicité, d'une religion, d'une classe sociale ou d'une conviction politique partagée - par opposition à un groupe autre, dont il est juste que les intérêts soient méprisés ».

Il est bien sûr louable que les élus cherchent à se faire les porte-voix des courants dominants, qu'ils veuillent être plus représentatifs ou respectueux de la souveraineté des citoyens. Mais en fabriquant un « peuple » victime de certains groupes, on glisse alors dans un discours carrément populiste.

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