Dans les derniers jours seulement, Donald Trump a menacé le Mexique, dénoncé le Canada et critiqué l'Europe, pour toutes sortes de raisons.

Son arme favorite contre ces pays qu'il qualifie de « soi-disant alliés » : les tarifs douaniers, qu'il utilise pour tirer sur tout ce qui traverse la frontière, que ce soit le papier d'imprimerie, l'aluminium, l'acier ou, peut-être bientôt, les pièces automobiles.

Devant pareilles agressions, Chrystia Freeland n'a d'autre choix que de visiter les États-Unis le plus souvent possible pour se faire des alliés. Et Philippe Couillard a annoncé cette semaine qu'il en fera autant, seule façon de contenir les excès du voisin.

Mais soyons honnêtes, le mal est déjà fait et la suite s'annonce difficile, peu importe le nombre de voyages à Washington.

Car derrière les tarifs qu'imposent les États-Unis, il y a une autre arme économique autrement plus insidieuse dont se sert Donald Trump pour miner le Canada. Une arme contre laquelle Québec et Ottawa ne peuvent rien : l'incertitude.

Il y a déjà celle qui existe sans Trump, causée par toutes sortes de choses dont les percées fulgurantes de la technologie qui remettent tout en question. Et il y a, en plus, celle causée par Trump qui, lui aussi, remet tout en question.

Un jour Justin Trudeau est un « ami », le lendemain il est « malhonnête ». Un jour le Canada est épargné par les tarifs, le lendemain il les reçoit dans les dents. Un jour ce sont des menaces, le lendemain c'est un mensonge ; le surlendemain, une exigence non négociable, un coup de gueule ou un tweet rageur.

Chaque fois, une industrie est ébranlée, des emplois sont menacés, des conséquences économiques se font sentir. Chaque fois, c'est la prévisibilité de l'avenir qui disparaît, et avec elle, toute possibilité d'anticiper, de planifier, d'investir à plus ou moins long terme.

Venons-en à l'évidence : Trump a non seulement normalisé l'incertitude, il en a fait une arme de destruction économique. Et le Canada commence à peine à réaliser qu'il en est une des principales victimes.

L'institut C.D. Howe a donné un nom à ce qui ressemble à une doctrine : « the weaponization of uncertainty », l'arsenalisation de l'incertitude.

Voilà pourquoi Trump se retire ou crache sur les institutions internationales et les accords diplomatiques, qui fournissent avec leur encadrement rigide et leurs règles établies les bases d'une certitude économique.

Voilà pourquoi Trump déteste tant les accords multilatéraux, qui offrent un cadre stable et prévisible aux entreprises, fondés sur la règle de droit et la bonne entente entre les parties.

Voilà aussi pourquoi Trump tient autant à intégrer à l'ALENA une clause crépusculaire, qui permettrait de rouvrir l'accord tous les cinq ans, ce qui créerait une négociation perpétuelle. Autant dire une incertitude perpétuelle.

C'est ce que Jean-Éric Branaa, professeur à l'Université Paris 2 Panthéon-Assas et auteur de Trumpland, appelle « le principe d'incertitude ». Une façon d'allumer plusieurs feux à la fois, de détourner constamment l'attention, de telle sorte que personne ne peut jamais prendre l'initiative. À part Trump.

Le drame, c'est que cette incertitude prend en quelque sorte la forme d'une barrière non tarifaire contre laquelle les pays habitués à faire des affaires avec les États-Unis ne peuvent rien.

Impossible de s'en plaindre à l'Organisation mondiale du commerce, contrairement aux tarifs imposés sur le bois d'oeuvre par exemple. Impossible de s'en défaire rapidement, contrairement à des tarifs précis qu'on peut lever du jour au lendemain, comme ceux qui menaçaient la C Series.

« C'est un peu comme une réputation ruinée, écrit C.D. Howe dans une récente analyse, les effets pernicieux de l'incertitude peuvent prendre des années à disparaître. »

Qu'il y ait donc réellement guerre commerciale ou simple « escarmouche », comme le dit pudiquement Philippe Couillard, la réalité est que le mal est fait. La confiance est ébranlée, des entreprises ont reporté des investissements, des contrats ont été interrompus, des emplois se sont précarisés et les exportations du Québec ont baissé, selon les chiffres dévoilés cette semaine par l'Institut de la statistique.

Il est certes essentiel que des représentants d'Ottawa et de Québec se rendent le plus souvent possible aux États-Unis pour convaincre les élus et les gens d'affaires de s'opposer aux mesures protectionnistes de la Maison-Blanche.

Mais contre l'incertitude, hélas, il est impossible de se battre...

La doctrine Trump

« La rhétorique et les attitudes de Donald Trump sont hors-norme et déroutent tous ses interlocuteurs, partenaires ou vis-à-vis, dans tous les domaines. Il y a une constante : le principe d'incertitude. Il se rend incompréhensible et brouille sans cesse les cartes. Il multiplie les enjeux et fait perdre totalement de vue le principal objet des négociations en cours. Il sait détourner l'attention et se montrer maître de la manipulation. Chacun y perd son latin et personne ne peut jamais prendre l'initiative. »

- Jean-Éric Branaa, auteur de Trumpland

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