Le principal problème de Facebook, si on se fie à Mark Zuckerberg, c'est qu'il s'agit d'« une entreprise idéaliste et optimiste ».

Elle a toujours voulu bien faire, et donc, elle ne pouvait faire que le bien, a-t-il dit en substance lors de son témoignage. Un peu plus et le fondateur ajoutait quelques émoticônes souriants et auréolés.

Ne nous laissons pas berner par le visage juvénile du PDG de Facebook, encore moins par le monde numérique truffé d'arcs-en-ciel et de licornes qu'il évoque.

Mark Zuckerberg est à la tête d'une multinationale qui n'a absolument pas l'intention de s'autoréglementer, sinon pour répondre minimalement aux critiques qui lui sont faites dans la foulée du scandale Cambridge Analytica.

À l'entendre, il serait tombé en bas de sa chaise en apprenant le détail de cette affaire. Il n'aurait JAMAIS vu venir cette utilisation malveillante des données personnelles des usagers de son réseau social...

Foutaise. On n'a qu'à se rappeler le nombre de fois que l'entreprise s'est fait taper sur les doigts au cours des dix dernières années pour avoir joué d'imprudence avec les données qu'elle collectait, et ce, aux États-Unis, en Europe, et même au Canada.

Le problème, ce n'est donc pas la candeur érigée en vertu de Zuckerberg, c'est la philosophie libertarienne qu'il pratique. Une philosophie très en vogue dans la Silicon Valley qui se résume ainsi : tout est permis jusqu'à ce qu'on nous l'interdise formellement.

En anglais, on parle d'une « Don't ask permission ethic », qui remonte à Napster dans les années 90, et qui a depuis été appliquée à divers degrés par les PayPal, Google, Amazon et Facebook de ce monde.

Influencés autant par Ayn Rand que par l'entrepreneur Peter Thiel, les fondateurs de ces start-ups ont la vilaine habitude de faire ce qu'ils veulent sans jamais demander à quiconque la permission... et sans se soucier des conséquences, comme le dénonce l'auteur Jonathan Taplin dans Move Fast and Break Things (le collègue Alain Brunet démontre de son côté les effets dévastateurs de cette idéologie sur l'industrie de la musique dans La misère des niches).

Facebook accapare ainsi les données de ses utilisateurs, même quand ils sont en train de surfer sur le web en dehors de sa plateforme, sous prétexte qu'ils ont accepté volontairement de dévoiler leurs renseignements personnels.

Or quiconque a déjà essayé de lire et de comprendre les politiques de Facebook sait qu'on joue avec les mots. La permission accordée par les utilisateurs du réseau est toute relative.

Le modèle actuel de protection de la vie privée au Canada repose sur un principe simple : les usagers offrent leurs données personnelles en échange de services, à la condition que le consentement soit « éclairé ».

Que veut dire « éclairé » ? Que l'individu a pu comprendre « raisonnablement » ce qu'il signe...

Faites le test avec Facebook. Tentez de comprendre de manière précise dans quoi vous vous embarquez. Vous verrez rapidement que c'est une mission impossible. Quand vous avez lu les standards de la communauté, vous saisissez qu'il y a aussi la politique de la plateforme, les conditions et règlements d'utilisation, les paramètres de sécurité, la politique de confidentialité, la déclaration des droits et responsabilité, etc.

Alors qu'à l'origine, le consentement devait être un outil de protection de l'individu, il est devenu avec le temps une façon pour les entreprises de noyer le poisson, de se protéger en affirmant avoir tout mis sur la table... qui déborde littéralement de documents.

Quand Mark Zuckerberg se dit favorable à « une certaine forme de régulation », il faut donc prendre la promesse pour ce qu'elle vaut : pas grand-chose. Il se contente en fait de répondre à la dernière crise, comme il l'a fait à celle qui a précédé, et ainsi de suite.

C'est donc aux États d'agir, comme le feront les pays d'Europe le mois prochain, avec l'entrée en vigueur du règlement général sur la protection des données (RGPD). Et comme devrait le faire le Canada, en revoyant de fond en comble sa loi poussiéreuse sur la protection des renseignements personnels.

Facebook s'est enrichi en renversant de manière insidieuse le fardeau de la preuve. Aux États de redonner aux individus le contrôle de leurs propres données.

> Lisez le témoignage de Mark Zuckerberg (en anglais)

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