À voir ce qui se passe aux États-Unis, où le président traite les médias en « ennemis des Américains » et mène la traque aux sources anonymes, il serait facile de se consoler, ici au Canada.

Or les journalistes ne sont pas à l'abri des dérives des autorités de notre côté de la frontière. Au contraire même, leur travail est plus facile à attaquer au pays de Justin Trudeau que de Donald Trump...

Le problème est simple. Les journalistes appuient leur travail sur des sources... mais ces sources ne sont pas protégées, si bien qu'elles hésitent trop souvent à dénoncer les fraudes, abus et irrégularités de crainte d'être démasquées.

On l'a vu avec cette longue liste de journalistes qui ont fait l'objet de surveillance ces dernières années, dont Patrick Lagacé : la police a contourné la jurisprudence avec une facilité déconcertante pour découvrir qui osait parler aux reporters. Façon de faire taire les sonneurs d'alerte... et tous ceux qui auraient l'intention de le devenir.

C'est ce qui a poussé le sénateur Claude Carignan à déposer le projet de loi S-231 en novembre dernier. Un projet de loi privé qui recueille beaucoup de soutien à Ottawa, appuyé par l'ensemble des grands médias canadiens, dont La Presse, et qui a été adopté en comité au Sénat mercredi soir.

Un projet de loi fort pertinent, en somme, auquel le gouvernement Trudeau doit rapidement s'intéresser.

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Le projet de loi Carignan vise à protéger le privilège du secret des sources, qui n'est pas expressément reconnu par la loi. Il vise à rendre plus difficile l'obtention de mandats de perquisition pour espionner les journalistes.

Bref, il vise à combler un vide législatif honteux pour une démocratie comme le Canada.

Une bonne centaine de pays dans le monde ont en effet reconnu le rôle fondamental que jouent les lanceurs d'alerte en les protégeant formellement... mais pas le Canada !

Les États-Unis non plus n'ont pas de loi fédérale à ce sujet, mais le problème est mineur au sud de la frontière, car la quasi-totalité des États américains ont agi à leur niveau pour protéger les sources journalistiques.

Le Canada est donc isolé, ce qui en fait le cancre en la matière selon une récente étude, car la protection des lanceurs d'alerte y est l'une des plus déficientes en Occident, rien de moins.

Cette situation devrait inquiéter tous les Canadiens, pas seulement les journalistes. N'oublions pas que ce sont les sonneurs d'alerte qui permettent à ces derniers de dénoncer les scandales. Sans eux, pas de scandale des commandites révélé au grand jour, pas de révélations sur la corruption dans la construction au Québec, pas de confidences sur la consommation de drogues de Rob Ford à Toronto...

Sans eux, bref, bien moins de journalisme d'enquête.

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Le mérite de l'affaire Lagacé et des autres surveillances, c'est qu'elles ont révélé au grand jour le danger que courent les sources, malgré un encadrement existant, élaboré par la Cour suprême, mais manifestement déficient.

La surveillance à laquelle s'est livré le SPVM a en effet montré que le régime législatif actuel est en retard d'une révolution technologique, car il ouvre toute grande la porte des registres d'appels et des téléphones cellulaires.

Elle a aussi révélé à quel point les policiers obtiennent facilement des mandats de perquisition. Les juges de paix ont beau être les gardiens de la Charte des droits et libertés, ils ont approuvé plus de 98 % des demandes présentées par le SPVM ces dernières années.

Et cette surveillance a démontré, enfin, que les policiers ont bien peu de respect pour les critères établis par la Cour suprême pour traquer les sources journalistiques dans la foulée du scandale des commandites. Pas moins de 24 autorisations judiciaires ont été obtenues par le SPVM pour identifier les sources confidentielles de Patrick Lagacé, mais pas la moindre préoccupation pour les consignes du plus haut tribunal au pays dans les documents.

Heureusement, à la lumière de ces faits troublants, certains représentants politiques ont choisi d'intervenir.

Québec a bougé rapidement en mettant sur pied la commission d'enquête Chamberland, qui se penchera sur les modifications à apporter au Code civil.

Et le Sénat a agi promptement en permettant à l'initiative de Claude Carignan de cheminer avec célérité, en vue d'un ajustement souhaité de la législation fédérale.

Ne manque donc que l'appui éventuel du gouvernement de Justin Trudeau pour redonner enfin à la liberté de presse toute sa liberté.

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