Encore le virage à droite au feu rouge ! Toujours le fichu virage à droite au feu rouge !

C'est à croire qu'il n'y a pas suffisamment de problèmes au Québec : une poignée de maires de l'île de Montréal vient de relancer le débat sur cet enjeu que l'on force épisodiquement dans la gorge de l'actualité depuis 15 ans.

On pensait être ailleurs en 2016.

Mais non, des élus municipaux à qui on a tendu le micro ont demandé non pas qu'on fasse plus attention aux usagers vulnérables de la route, mais qu'on rende leur quotidien un peu plus dangereux encore ! Et ce, pour que les automobilistes grappillent quelques précieuses secondes !

On se croirait revenu à l'époque où la route appartenait aux voitures, car prendre position dans ce dossier revient à choisir sa priorité, dans le fond : la sécurité des piétons et cyclistes ? Ou la fluidité de la circulation ?

Bien sûr, la fluidité est un objectif louable. Bien sûr, il y a de très bons arguments en faveur de l'implantation du virage à droite au feu rouge à Montréal, surtout dans un contexte où les chantiers épuisent la patience des automobilistes. Le virage permet un gain de temps. Il apaise la congestion. Et il réduit d'autant la consommation d'essence et les gaz à effet de serre.

Mais une fois ces bienfaits formulés, on doit se poser deux questions. À quel point ces avantages sont-ils significatifs ? Et à quel prix sont-ils gagnés ?

Les études sont nombreuses sur le virage à droite - permis partout en Amérique du Nord sauf à Montréal et New York - et toutes reconnaissent qu'il permet en effet des gains en termes de temps et d'argent. Mais presque toutes précisent aussi que ces gains sont tout à fait marginaux.

L'économie de carburant se chiffre, selon le Centre de recherche sur les transports de l'Université de Montréal, à 2,64 litres... par an !

Quant au gain de temps, selon une revue de la littérature scientifique menée par la SAAQ, il oscille entre 3 et 16 secondes... par jour !

Ce n'est pas totalement insignifiant comme bienfaits, mais pas loin. Surtout quand on les compare aux inconvénients qui accompagneraient l'élargissement du virage à droite à l'irréductible Montréal. Des inconvénients, disons, percutants...

On savait très bien, quand on a implanté la mesure en 2003, qu'on augmenterait les risques d'accident avec les piétons et les cyclistes. On le savait, car les chiffres en provenance des États-Unis montraient déjà à l'époque que les automobilistes à qui on permet de griller le feu rouge sont nombreux à virer à droite sans même faire de stop !

Selon une étude publiée en 2000 par l'Insurance Institute for Highway Safety, de 40 à 57 % des automobilistes ne s'arrêtent tout simplement pas avant de tourner, avec le danger que l'on imagine sur les cyclistes et piétons... pas mal plus nombreux dans les quartiers centraux de Montréal que dans la plupart des villes américaines (à part New York, tiens, tiens...).

Le résultat, on l'a vu ici même au Québec ces dernières années. Le bilan officiel de l'implantation du virage à droite pour la période allant de 2003 à 2011 fait état de 807 blessés légers, mais surtout, de 33 blessés graves et de 6 décès.

Ce n'est peut-être pas « une hécatombe », soit. Mais c'est tout de même six morts. En huit ans !

Sans même que la mesure soit permise dans la ville où il y a plus de piétons et cyclistes au Québec !

Six morts. Pour gagner à peu près six secondes. Et pas même six dollars par année, pensez-y...

Ce n'est donc pas que les chauffeurs sont ici plus indisciplinés. Ce n'est pas qu'on est « plus niaiseux qu'ailleurs ». C'est simplement que nos priorités sont ailleurs.

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