Justin Trudeau a créé de grandes attentes lorsqu'il a promis de réformer le mode de scrutin il y a un an cette semaine. Il s'était alors engagé à faire en sorte que l'élection de 2015 soit « la dernière à être menée selon le système électoral majoritaire à un tour ».

Depuis, en plus de choisir une ministre néophyte pour piloter le dossier, le premier ministre a tout fait pour se rétracter, allant jusqu'à affirmer que les électeurs n'avaient plus autant d'appétit pour cette réforme... maintenant qu'ils sont satisfaits du parti au pouvoir !

Pourtant, la frustration citoyenne reste la même.

On pourrait même dire qu'elle est un petit peu plus grande depuis la dernière élection, étant donné que la faiblesse du système actuel s'y est révélée à nouveau : les libéraux ont recueilli 55 % des sièges... avec 39 % des suffrages. Un scénario similaire à celui qui avait permis aux conservateurs de gagner l'élection précédente.

Tout le problème du mode de scrutin est là : un candidat peut remporter un siège sans avoir obtenu la majorité absolue des voix, et un parti peut prendre le pouvoir avec une minorité des suffrages.

Un problème qui existe depuis près de 100 ans, depuis qu'il y a plus de deux partis aux élections en fait, mais qui s'accentue avec l'éclatement de la scène politique. Si bien que les électeurs ont trop souvent l'impression que leur vote est « perdu », avec l'impact que l'on imagine sur le taux de participation et le cynisme...

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Pour corriger la faille de notre bon vieux mode de scrutin, plusieurs militent pour l'ajout d'une représentation proportionnelle au mode de scrutin.

Les options sont nombreuses (vote unique transférable, scrutin de liste, etc.), mais l'objectif est toujours le même : faire correspondre la répartition des sièges avec la proportion de suffrages obtenus par parti.

En théorie, l'idée est excellente. En pratique, par contre, elle se révèle souvent moins évidente. Les systèmes proportionnels ont certes des qualités, mais ils peuvent induire des distorsions eux aussi et plusieurs variantes sont complexes, créant deux catégories de députés ou d'immenses circonscriptions à plusieurs élus.

Dans sa forme pure, la proportionnelle favorise aussi la prolifération des petits partis. À vouloir donner une voix à chacun, on en vient à multiplier les formations régionales, sectorielles ou idéologiques, au détriment des grands partis nationaux qui ont le mérite de rapprocher les régions du pays.

Cela ouvre bien sûr la porte à des gouvernements de coalition, qui peuvent être instables. Des gouvernements qui donnent beaucoup de pouvoir, voire la balance du pouvoir, à des tiers partis qui ne récoltent l'appui que d'une minorité d'électeurs.

On peut comprendre que certains observateurs soient sympathiques aux coalitions, mais rappelons qu'il n'est pas rare que ces gouvernements soient choisis non par les électeurs, mais plutôt par les négociations entre chefs, derrière des portes closes, comme celles qui avaient mené au projet de coalition entre les partis fédéraux d'opposition en 2008.

La proportionnelle a ses avantages, bien sûr, et elle peut être modelée de différentes façons, de manière plus modérée ou plus extrême. Mais une question se pose : veut-on vraiment se lancer dans une réforme qui exige de profonds bouleversements et nous éloigne à ce point de notre « culture électorale » centenaire ?

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Il existe une autre option, moins révolutionnaire que la proportionnelle, mais qui aurait le potentiel de corriger les principales failles du mode de scrutin actuel : le vote préférentiel.

En un mot, on présente à l'électeur le même bulletin de vote qu'aujourd'hui, mais on lui demande de numéroter ses préférences plutôt que de se contenter de tracer un X. C'est ce qu'ont récemment fait les membres du PQ pour se choisir un chef.

Le vote préférentiel a cela de positif qu'il conserve toutes les qualités du mode uninominal à un tour (simple, efficace, permettant des gouvernements forts et stables), tout en corrigeant « la quasi-totalité » de ses défauts, selon le Prix Nobel Eric Maskin, qui a témoigné lors des consultations fédérales.

Le vote préférentiel corrige ainsi plus de distorsions qu'il n'en crée, à commencer par sa principale : l'élection de députés appuyés par une minorité d'électeurs.

Ce mode de scrutin oblige en effet les candidats à recueillir plus de 50 % des voix pour être élus.

Les électeurs numérotent leurs préférences. Si aucun candidat n'obtient la majorité absolue à partir des premiers suffrages, le moins populaire est éliminé. On regarde alors le 2e choix des électeurs ayant voté pour ce dernier, on distribue leurs appuis, et ainsi de suite jusqu'à ce qu'un candidat récolte plus de la moitié des suffrages (différentes techniques de dépouillement permettent d'en adoucir les distorsions, comme les méthodes Borda et Condorcet).

Cette façon de procéder élimine du coup le « vote stratégique » puisque les électeurs choisissent réellement leurs candidats préférés, plutôt que celui qui a le plus de chance de gagner. Il donne à l'électeur plus de prise sur le choix du député. Il confère une plus grande légitimité à l'élu, réellement majoritaire. Et il force les partis à adopter un discours modéré, plus rassembleur, afin d'être le deuxième choix des électeurs lorsqu'ils ne sont pas le premier.

« On diminuerait ainsi de façon importante la frustration des citoyens qui pensent que leur vote ne sert à rien et que personne ne les représente à la Chambre des communes », écrit le politologue Jean-Pierre Derriennic dans son livre Un meilleur système électoral pour le Canada.

Entendons-nous, aucun système n'est parfait, pas plus le vote préférentiel que la proportionnelle ou le mode actuel. Le défi est donc de trouver, pas autant le moins mauvais que celui qui cadre le mieux avec notre écosystème démocratique. Celui qui apporte plus d'avantages que d'inconvénients. Celui qui répond aux distorsions observées, sans en provoquer de plus importantes.

Le vote préférentiel répond pleinement à ces critères. Sans bouleverser le système

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