Il est beaucoup question des architectes dans le débat entourant le pont Champlain. Mais il ne faut pas oublier que le remplacement de cette infrastructure, au même titre que le prolongement de sa vie utile, représente un énorme défi pour les ingénieurs aussi, qui ont enfin l'occasion de faire oublier leurs pratiques d'affaires au profit de leur pratique professionnelle.

Les travaux d'urgence menés ces derniers jours sont sans précédent et montrent en effet comment les ingénieurs sont capables d'élévation lorsque leurs compétences sont mises à l'épreuve. L'existence de la «super poutre» relève certes d'une prévoyance salutaire de la Société qui gère les ponts fédéraux, mais aussi du génie québécois qui l'a rendue possible.

Le délabrement du pont n'est donc pas qu'un problème, il s'agit également d'un véritable laboratoire d'idées. Des idées qui permettent, après des mois passés à entendre parler des firmes d'ingénieurs pour les mauvaises raisons, d'en faire émerger de nouvelles sous un jour plus favorable. Le meilleur exemple étant Proco Métal, de Saint-Nazaire, à qui l'on doit la fabrication de l'imposante poutre de 75 tonnes.

Après avoir banni des firmes de génie pour cause de corruption et de collusion, voilà qu'on applaudit d'autres entreprises pour leur savoir-faire et leur capacité d'innovation. Et ce n'est qu'un début, étant donné la complexité du chantier à venir qui, lui aussi, permettra au génie québécois de briller.

La chose n'a pas été précisée par le ministre Denis Lebel dimanche, mais l'élaboration de directives architecturales dans le cadre d'un PPP se fait habituellement de concert avec les ingénieurs. Ces derniers seraient aussi censés se joindre aux architectes à différentes étapes du processus afin de valider le respect desdites directives par les consortiums qui répondront à l'appel de propositions.

Il s'agit donc d'une occasion en or pour cette profession qui, avouons-le, a des choses à se faire pardonner. Une occasion qui ne doit pas servir qu'à montrer qu'elle sait faire vite au besoin.

Dans une lettre ouverte portant sur le remplacement du pont, l'Ordre des ingénieurs soulignait que «la construction de ce nouveau pont ne fait pas partie d'un plan de développement urbain normal», qu'il s'agit plutôt d'«une réponse à une crise majeure». Il ajoutait que «ce qui compte avant tout, c'est la rapidité, la qualité et la sécurité». 

Or si les architectes ont à veiller à la qualité du projet, les ingénieurs doivent s'assurer d'une conception exemplaire, malgré les délais très rapides. La rapidité est peut-être «ce qui compte», mais certainement pas au prix de quelques coins tournés ronds.

La crise actuelle dicte certes l'urgence à court terme, mais elle appelle la précaution à long terme. Pour ne pas répéter les erreurs du passé, certes, mais aussi pour mettre en valeur le fleuve, le futur pont... et les professionnels qui le conçoivent.

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