Au Québec, où le star-system est petit et accessible au public, on ne voit aucun problème à ce que les acteurs ou les cinéastes alternent entre le cinéma et la télé. Mais aux États-Unis, on s'étonne encore de ces transfuges, comme on a pu le constater lors du 66e gala des Emmy cette semaine.

En fait, les critiques semblent en avoir assez que le milieu soit étonné. Au lendemain du gala, qui a rejoint 15,6 millions de téléspectateurs à NBC un lundi soir, plusieurs se posaient la question : pourquoi la télé a-t-elle toujours un complexe d'infériorité envers Hollywood ? La faute à de fréquentes allusions à la présence dans la salle de vedettes de catégorie A, comme Matthew McConaughey ou Julia Roberts, ainsi que des blagues sexistes éloignées du glamour des Oscars.

Pourtant, cela fait plusieurs années qu'on affirme être dans un nouvel âge d'or de la télévision. Quand on voit en compétition des séries comme Breaking Bad, Game of Thrones, Downton Abbey, House of Cards et True Detective, c'est un peu comme si, pour l'Oscar du meilleur film, on retrouvait The Godfather, Apocalypse Now, Lord of the Rings, Annie Hall et Taxi Driver dans la même soirée.

Comme au Québec, on déplore le manque d'originalité dans la liste des gagnants - « toujours les mêmes » - , mais avec un tel alignement, impossible de ne pas décevoir les fans. À peu près tout le monde méritait de gagner. Les stars hollywoodiennes sont cependant reparties bredouilles, car en consacrant la dernière saison de Breaking Bad, les votants sont restés fidèles aux stars du « petit » écran... devenu grand.

La qualité et le succès indéniables des séries américaines depuis une décennie ont mené à une espèce de crise de maturité où la télévision est prise entre deux chaises. On lui demande d'un côté d'assumer fièrement sa nouvelle suprématie, de devenir noble et mature à l'image de ses séries, tandis que de l'autre côté, comme le Vanity Fair l'a écrit en mars dernier, on la supplie de ne pas sombrer dans la prétention ou des idées de grandeurs.

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La télévision est depuis longtemps décrite comme un art de la proximité, tandis que le cinéma est vu comme un art qui fait rêver. Mais cette frontière s'est estompée depuis que la télé a transformé ses contraintes en avantages.

Des rôles de grande qualité pour les hommes comme pour les femmes de tous les âges, une exploration plus audacieuse de la narration, une temporalité qui permet d'aller en profondeur, des thématiques adultes, le tout amplifié par les réseaux sociaux, ont rendu le médium séduisant. Si les artisans du cinéma sont de plus en plus tentés par la télévision, c'est parce qu'elle a su se renouveler, mais ils apportent aussi leur expertise.

Le box-office estival, dominé par les films de monstres et de superhéros, a connu une baisse d'environ 20 % et on conclut évidemment que la télévision est devenue meilleure que le cinéma - alors que l'année n'est même pas terminée. Mais il est inutile d'opposer le petit et le grand écran, puisqu'ils vont dorénavant main dans la main.

Alors où est le problème ?

C'est le public qui, au final, en sort gagnant.