On n'arrête pas le progrès, selon la formule. Et il vaut mieux ne pas être dans son chemin lorsqu'il est piloté par Amazon, ce que découvrent les acteurs de la chaîne du livre depuis quelques mois, dans une querelle qui ne cesse de s'envenimer.

Dans le New York Times de dimanche dernier, plus de 900 auteurs ont pris position contre le géant de la distribution dans deux pleines pages de publicité, réclamant la fin du bras de fer qui dure depuis des mois avec l'éditeur Hachette.

À juste titre, les auteurs se sentent pris en otage dans cet affrontement sur l'établissement d'un prix unique pour le livre numérique, soit le seuil psychologique, toujours vendeur, de 9,99$.

Amazon a suspendu les précommandes des livres de Hachette, retiré les rabais ou retardé la livraison de leurs titres et a même proposé de remettre 100% des ventes des versions électroniques de leurs ouvrages aux auteurs qui se rangeront de son côté, en plus de dévoiler publiquement l'adresse de courriel du patron de Hachette. Bref, tous les coups semblent permis, mais ceux d'Amazon ont la force de Goliath contre David.

L'évidence est qu'Amazon n'a pratiquement aucun concurrent de sa taille à l'horizon. En lançant sa liseuse Kindle en 2007, l'entreprise a offert de nouvelles sources de revenus aux éditeurs, tout en se mettant en position de force aujourd'hui pour imposer son prix. L'entreprise qui se présente en défenseur du consommateur domine outrageusement le marché. Ses rabais et un impressionnant système de distribution font sa force, mais son talon d'Achille pourrait être son monopole intimidant.

Amazon bouscule les intermédiaires entre les auteurs et les lecteurs. Les éditeurs et les libraires défendent avec raison des savoir-faire dont Amazon n'a que faire. Mais, avec l'essor fulgurant du livre numérique, pendant combien de temps encore les auteurs resteront-ils fidèles à leurs traditionnels compagnons de route? Surtout quand on leur fait miroiter d'alléchants pourcentages?

L'argent est, comme toujours, le nerf de la guerre, et le clic du client, une arme, car il n'hésitera pas très longtemps devant son écran entre 9,99$ et 12,99$, peu importe si le titre désiré a demandé dix ans de travail à l'auteur et sa maison d'édition. Il n'y a pas de poésie dans ce contexte, d'autant plus que les consommateurs s'attendent à ce qu'une version électronique soit offerte à moindre coût qu'un livre imprimé.

Amazon n'a pas fini de bouleverser le paysage, ayant annoncé l'intention de lancer Kindle Unlimited, un «Netflix du livre» - toujours au mythique prix de 9,99$, par mois, pour un accès illimité à un catalogue de titres.

Le milieu du livre, longtemps épargné par les bouleversements technologiques, a toutes les raisons de s'inquiéter, mais ce n'est pas comme si on n'avait pas vu arriver la déferlante. L'industrie du disque a reçu encore plus brutalement les transformations de son milieu dans les années 2000. Et qui, aujourd'hui, se priverait de son iPod rempli de chansons à 99  cents?