Les critères de « mort naturelle raisonnablement prévisible » et de « fin de vie » qui privent de nombreux patients de l’aide médicale à mourir sont invalides, vient de trancher la Cour supérieure dans un jugement aussi sensible que sensé. Si ces dispositions étaient à l’origine bien intentionnées, les défendre aujourd’hui friserait la cruauté. Ottawa et Québec doivent s’abstenir de faire appel.

Vous avez vu Nicole Gladu et Jean Truchon dans leurs fauteuils roulants, esprits vifs dans des corps minés par des conditions irréversibles qui leur causent d’immenses souffrances physiques et psychiques. Ces deux Québécois répondent à tous les prérequis pour recevoir l’aide médicale à mourir, sauf deux : leur mort naturelle n’est pas « raisonnablement prévisible », comme le requiert le Code criminel fédéral, et ils ne sont pas en fin de vie, comme le demande la loi québécoise.

Ces deux exigences sont inconstitutionnelles, a déclaré la juge Christine Baudouin dans une décision minutieuse empreinte d’une grande sensibilité. Nicole Gladu et Jean Truchon en sont donc exemptés sur-le-champ.

PHOTO GRAHAM HUGHES, LA PRESSE CANADIENNE

Nicole Gladu, l’avocat Jean-Pierre Ménard et Jean Truchon

Pour les autres malades présentant un profil semblable, hélas, la porte est toujours fermée, car Ottawa et Québec ont obtenu un délai de six mois durant lequel l’invalidation est suspendue.

Le gouvernement fédéral et le gouvernement du Québec pourraient en théorie se lancer dans une procédure d’appel. Mais en s’acharnant ainsi à défendre l’inacceptable, ils ne réussiraient qu’une chose : prolonger les souffrances de citoyens qui continueraient à se voir refuser l’aide médicale à mourir aux seuls motifs qu’ils ne sont ni en fin de vie ni dans un état qui rend leur mort raisonnablement prévisible. Ce ne serait pas seulement injuste, mais cruel.

Il y a déjà plus de quatre ans que la Cour suprême a reconnu les droits de patients comme Nicole Gladu et Jean Truchon. Si le fédéral avait modifié le Code criminel en respectant l’esprit de l’arrêt Carter et que Québec avait ajusté sa loi en conséquence, M. Truchon et Mme Gladu n’auraient pas eu besoin d’envisager, comme ils l’ont fait, de se laisser mourir de soif ou de demander l’euthanasie en Suisse. 

Heureusement, ce n’est plus nécessaire. Mais qu’ils aient dû se battre en cour pour retrouver leurs droits est franchement choquant. Et que d’autres malades, d’un bout à l’autre du pays, soient en attente du bon vouloir des élus est tout aussi insupportable.

La loi québécoise, on s’en souvient, a été adoptée avant que le plus haut tribunal du pays ne décriminalise l’aide à mourir. Réserver ce geste à la fin de vie contribuait à ce qu’il soit reconnu comme un soin de santé relevant des compétences provinciales et non un empiétement sur le Code criminel.

Le projet de loi fédéral, par contre, a été rapidement critiqué en raison de ce critère de « mort raisonnablement prévisible » qui n’apparaît nulle part dans l’arrêt Carter. L’ex-ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, avait évoqué un équilibre entre les personnes dites vulnérables, qui redoutent de se voir imposer l’aide à mourir, et les malades qui la réclament. 

Comment peut-on mettre les craintes des uns sur un pied d’égalité avec les souffrances intenables des autres ? Comment peut-on subordonner le devoir de soulager au désir de rassurer ?

Cette exigence de mort prévisible n’a rien de raisonnable et nous avons été nombreux à le dire.

Mme Wilson-Raybould ainsi que son amie et ex-ministre de la Santé, Jane Philpott, qui abondait dans le même sens, ne sont heureusement plus là pour pousser le gouvernement Trudeau dans ce cul-de-sac.

L’actuel ministre de la Justice, David Lametti, s’est pour sa part montré ouvert à des modifications. Mieux, il est l’un des rares députés libéraux à avoir voté contre la Loi modifiant le Code criminel – précisément à cause de cette exigence de mort naturellement prévisible qui, estimait-il, brimerait les droits des personnes atteintes d’une condition qui, sans être terminale, était grave et irrémédiable.

Les gouvernements fédéral et provincial ont encore près d’un mois pour décider s’ils feront appel. Par respect pour tous les citoyens encore aux prises avec la même injustice que M. Truchon et Mme Gladu, nous leur demandons de ne pas s’acharner à défendre les dispositions fautives de leurs lois, et de l’annoncer rapidement.

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