Face à un Donald Trump toujours prêt à abuser de la situation, le gouvernement Trudeau n’était pas vraiment en position de force. Mais il a tenu son bout, et le temps lui a donné raison. C’est ainsi que le Canada vient de réussir à se débarrasser des tarifs douaniers dont faisaient injustement l’objet ses exportations d’aluminium et d’acier depuis près d’un an. Une attitude qu’on voudrait voir dans d’autres dossiers.

Une annonce le vendredi après-midi, à la veille d’un long congé ? D’habitude, c’est pour une nouvelle embarrassante que les chefs d’entreprise et les politiciens choisissent ce moment. Pas cette fois. C’est un Justin Trudeau visiblement soulagé qui s’est pointé à l’aciérie Stelco, à Hamilton.

« On a su tenir bon. Les Américains ont compris que les Canadiens étaient unis », s’est-il félicité en point de presse.

La position américaine était, rappelons-le, doublement inacceptable.

D’abord, il y a eu ce prétexte, complètement fallacieux, de menace à la sécurité nationale brandi par Washington pour imposer des tarifs de 10 % et de 20 % sur les produits d’aluminium et d’acier en provenance du Canada. Ensuite, cette arrogance inouïe de l’administration Trump, qui s’imaginait pouvoir profiter des concessions arrachées dans l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM) sans relâcher la pression tarifaire.

Acquiescer à de tels abus aurait non seulement ouvert la porte à d’autres brimades, mais aussi déroulé le tapis rouge. Le Canada n’avait pas le choix de résister.

En répliquant avec ses propres tarifs, Ottawa a envoyé un premier message de fermeté. Mais c’est en ne faisant rien qu’il a été le plus efficace.

Pas que la ministre des Affaires étrangères du Canada, Chrystia Freeland, ses fonctionnaires et l’industrie canadienne soient restés les bras croisés, loin de là. Leurs représentations auprès des élus et des gens d’affaires américains ont fait leur bout de chemin, c’est sûr. C’est toutefois en se hâtant de ne rien faire avec l’ACEUM qu’Ottawa a réussi à se faire entendre. Nous l’avons dit dès le début de l’année, et d’autres en ont fait autant : il était impensable que le Canada ratifie cet accord demandé par la Maison-Blanche sans que celle-ci lève ses tarifs punitifs. Elle a, de toute évidence, fini par comprendre.

Ce n’est pas que Justin Trudeau ou Chrystia Freeland aient empêché le président américain de dormir — il ne faut pas rêver non plus. D’autres, par contre, s’en sont chargés.

Pendant qu’Ottawa refusait de broncher, le monde continuait de tourner, et pas dans le sens qu’imaginait le président américain. Des entreprises utilisant des produits d’aluminium et d’acier ; des agriculteurs frappés par les mesures de représailles imposées par le Mexique et la Chine ; de nombreux élus, même républicains : la guerre tarifaire totale chère à Donald Trump suscite de plus en plus de protestations aux États-Unis. Sans oublier que les fonctionnaires du représentant américain au Commerce, Robert Lighthizer, en ont plein les bras avec la Chine, dont le président américain menace maintenant de tarifer presque tous les biens. La menace ne sera peut-être jamais mise à exécution, mais les détaillants sont nerveux, et le consommateur moyen, y compris celui qui a voté pour Trump, comprend qu’il en ferait les frais.

À moins de 18 mois de l’élection présidentielle américaine, il devenait urgent d’abaisser un peu la pression. C’est ainsi que le temps a joué en faveur du Canada. Mais, pour en arriver là, il fallait d’abord se tenir debout.

C’est une attitude qu’Ottawa aurait intérêt à tester devant d’autres tentatives d’intimidation.

Dans tous les cas, il aura intérêt à garder son sang-froid. L’entente annoncée vendredi prévoit en effet qu’en cas de « forte augmentation subite […] pendant une longue période », de nouveaux tarifs pourraient être imposés. Ce n’est pas pour demain, mais ce n’est pas encourageant non plus pour les projets d’expansion des alumineries et des aciéries canadiennes.

L’administration Trump, fidèle à elle-même, n’a pas fait de cadeau. Ottawa ne devrait pas lui en faire non plus. L’ACEUM est nettement plus avantageux pour Donald Trump que pour le Canada. Or, son approbation par la Chambre des représentants, quoique plus plausible depuis la semaine dernière, est encore loin d’être acquise. Le gouvernement Trudeau devrait continuer à tenir son bout, et ne pas ratifier cet accord tant que les États-Unis ne l’auront pas fait.

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