Le président américain se dit prêt à aller jusqu’au bout pour régler ses problèmes commerciaux avec Pékin. Reste à voir si ses armes favorites, les tarifs douaniers, réussiront à mettre la Chine au pas… et à quel prix pour le Canada.

La guerre, la guerre, peut-on vraiment s’y adonner sans se faire mal ?

Il y a des limites à nier l’évidence. Larry Kudlow, l’un des principaux conseillers économiques de la Maison-Blanche, n’a même pas essayé dimanche. Interrogé sur le fait que ce sont les consommateurs américains qui se verront refiler la facture des tarifs douaniers imposés par Washington, et non la Chine, comme l’avait prétendu Donald Trump, il n’a pu qu’acquiescer. « C’est juste », a-t-il admis à Fox News, en s’empressant toutefois d’ajouter que « les deux côtés vont payer ». Le président américain a pour sa part promis 15 milliards de dollars américains d’aides gouvernementales supplémentaires aux agriculteurs lundi, reconnaissant ainsi qu’ils sont les plus touchés par la surenchère tarifaire dans laquelle il s’est engagé avec Pékin.

Washington a pris tout le monde par surprise vendredi dernier en annonçant qu’à la demande du président, les importations chinoises soumises à des tarifs douaniers de 10 % seraient désormais taxées à 25 %, et que cette mesure pourrait ensuite être élargie à pratiquement tout ce qui arrive de la Chine. Tout un revirement dans des négociations qui, vues de l’extérieur, avaient l’air de progresser plutôt bien. La Chine a achevé d’enfoncer le clou lundi en annonçant une augmentation de ses propres tarifs sur les produits américains.

Les marchés boursiers, après avoir piqué du nez lundi, ont un peu remonté hier, mais l’incertitude demeure. Elle n’est pas près de se dissiper.

Les signes encourageants risquent de se faire attendre jusqu’à la fin de juin, lorsque les présidents Trump et Xi Jinping auront l’occasion de se rencontrer au Japon, dans le cadre du G20.

Un déblocage comme celui auquel on a assisté en marge d’un autre G20, en Argentine à la fin de l’an dernier, serait alors tout à fait plausible. Mais là encore, la trêve pourrait être de courte durée.

Entre les États-Unis qui ne veulent pas perdre leur position de leader économique mondial et le numéro 2 chinois qui piaffe derrière, on en a pour des années de tensions et de tiraillements — et à plus forte raison d’ici aux élections américaines de l’automne 2020. Car si le choix des armes privilégié par Donald Trump lui vaut beaucoup de critiques, la justesse du combat n’est pas loin de faire l’unanimité.

Même des républicains qui réclament la levée des tarifs contre le Canada et le Mexique se gardent bien de lui reprocher de tenir tête à la Chine. Même un démocrate en vue comme Chuck Schumer, le leader de la minorité au Sénat, lui a exprimé publiquement son appui.

Et même des gouvernements qui font injustement les frais de la marotte tarifaire de Donald Trump, comme ceux du Canada, du Mexique et de l’Union européenne, ne peuvent nier les pratiques commerciales abusives de la Chine, et la nécessité d’y voir.

Transferts de technologie forcés, concurrence faussée par le soutien étatique, réglementation obscure et imprévisible, propriété intellectuelle bafouée : la liste des griefs est connue, et justifiée.

Les tarifs douaniers tous azimuts sont-ils un bon moyen de faire entendre raison à Pékin ? Ils peuvent faire mal, c’est certain.

Parmi un échantillon de 1000 exportateurs chinois, seulement quelques dizaines d’entre eux seraient capables d’encaisser une surtaxe de 25 %, montre une analyse de l’agence Bloomberg. Les marges de profit des autres n’étant pas assez élevées pour leur permettre de réduire suffisamment leurs prix, ceux-ci devraient grimper sous l’effet des tarifs, et influer sur leurs parts de marché aux États-Unis. Et si le conflit se prolonge, on s’attend à ce que de la production actuellement effectuée en Chine soit transférée dans d’autres pays asiatiques exempts de tarifs. Quoi qu’il advienne, les consommateurs américains subiront des hausses de prix qui réduiront leur pouvoir d’achat… et les fabricants américains qui importent des matériaux et composantes, des augmentations de coûts qui rendront leurs produits moins concurrentiels.

Si Donald Trump met sa menace à exécution et impose des droits de 25 % sur tout ce qui entre de la Chine, le produit intérieur brut (PIB) américain se retrouverait amputé de 0,6 % par an, signale Sal Guatieri, de BMO Marché des capitaux, dans une note publiée vendredi dernier. En ajoutant les effets des autres guerres commerciales engagées par le président (aluminium et acier, panneaux solaires, machines à laver, etc.), les États-Unis pourraient perdre un point de croissance. Et l’économie canadienne, qui dépend en grande partie de ses exportations américaines, pourrait perdre jusqu’à un demi-point par ricochet, calcule l’économiste.

Bref, si jamais l’offensive tarifaire américaine parvient, contre toute attente, à ouvrir une brèche dans les lignes chinoises, il faut espérer que le Canada réussira à s’y faufiler lui aussi, car il aura largement fait les frais de cette pénible stratégie.

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