Son combat contre le tabac, Jean-Yves Blais l'a gagné de façon posthume, et deux fois plutôt qu'une. Mort du cancer du poumon en 2012, ce gros fumeur n'aura malheureusement pas eu le temps de connaître l'issue de l'action collective entreprise en son nom. Mais il aurait eu de quoi se réjouir, puisque justice a été rendue. En confirmant les dommages de plus de 15 milliards de dollars auxquels trois grands cigarettiers avaient été condamnés en 2015, la Cour d'appel du Québec vient en effet de reconnaître l'essentiel : les décennies de comportements inadmissibles ne s'effacent pas avec le passage du temps.

Nous avons tendance à l'oublier à la lumière de nos connaissances de 2019, alors que les dangers du tabagisme ne font plus l'ombre d'un doute, mais... il n'en a pas toujours été ainsi.

«Ils ont joué à la cachette avec les fumeurs!», a lancé la veuve de Jean-Yves Blais en conférence de presse vendredi à Montréal.

Lise Blais venait de résumer en termes simples ce que cinq juges de la Cour d'appel ont minutieusement détaillé en plus de 400 pages: pendant près de 50 ans, les méthodes d'Imperial Tobacco Canada, de Rothmans, de Benson & Hedges et de JTI-MacDonald ont empêché les fumeurs québécois d'avoir toutes les informations nécessaires.

Rappelons qu'un fabricant a le devoir d'informer les usagers des dangers de son produit - à plus forte raison s'il s'agit d'un produit toxique qui crée une dépendance. 

Dire que les trois cigarettières ont manqué à leur devoir est un euphémisme.

«D'une part, elles n'ont pas fourni de renseignements au public ou aux usagers ou n'ont fourni que des renseignements inadéquats ; d'autre part, elles ont activement désinformé le public et les usagers en s'attaquant de diverses manières à la crédibilité des avertissements, conseils et explications donnés et diffusés par d'autres (gouvernements, corps médicaux, groupes antitabac, etc.) à propos des méfaits de la cigarette et en usant de stratagèmes publicitaires trompeurs», dénonce le jugement rendu public vendredi.

La chronologie résumée en appel est accablante.

De 1950 à 1972, les cigarettiers n'ont pratiquement rien dit des dangers et risques qu'ils connaissaient. Le premier avis de risque pour la santé («Le danger croît avec l'usage») n'apparaît sur les paquets qu'en 1972. La première mise en garde («Évitez d'inhaler») n'arrive que trois ans plus tard. Et encore! L'industrie se contente de relayer le message du fédéral («Le ministère de la Santé [...] considère que...». Et elle le fait seulement pour pouvoir continuer à s'autoréglementer, parce que le gouvernement menace de légiférer. 

L'approche s'est modifiée au fil des ans, mais les représentations publicitaires fausses et trompeuses ont perduré jusqu'en 1998, juge la Cour d'appel.

Bref, s'il y a des fabricants qui en font plus que le client en demande, en allant jusqu'à lui conseiller de porter des lunettes de sécurité pour assembler un meuble, les géants du tabac, eux, ont drôlement tardé à fournir l'information complète qui était attendue d'eux.

On devrait savoir d'ici à la fin de l'année si la Cour suprême accepte de se pencher sur ce jugement historique. Le cas échéant, ça pourrait prendre encore deux ans avant d'avoir une décision finale.

Ce n'est donc malheureusement pas demain que les victimes du tabac couvertes par le recours ou leurs héritiers pourront toucher leurs indemnités, qui atteignent aujourd'hui quelque 17 milliards de dollars. Mais au moins, la responsabilité des cigarettiers à leur égard vient d'être confirmée de façon éclatante par un deuxième tribunal. C'est une victoire historique qui mérite d'être soulignée.

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