Pour la première fois en plus de 25 ans, les Canadiens ont eu droit cette semaine à un nouveau Guide alimentaire exempt de toute ingérence de l'industrie. Le résultat est rafraîchissant, mais un peu agaçant par moments.

Santé Canada, on s'en souvient, s'était attiré des tomates avec les deux précédentes éditions de son Guide alimentaire canadien, en 1992 et en 2007. Des représentants de nombreux secteurs (viandes, oeufs, poissons, confiserie, produits laitiers, aliments transformés, etc.) avaient été étroitement associés à sa conception. Certains siégeaient même à un comité-conseil du Ministère.

Rien de tel cette fois. Les groupes d'intérêt ont pu présenter leurs arguments, mais Ottawa a basé ses recommandations sur des données scientifiques indépendantes. Les rapports commandés par «l'industrie ou une organisation ayant un intérêt commercial» n'ont pas été pris en considération.

Résultat, le guide a pris un virage impensable auparavant.

La disparition de la catégorie «lait et substituts» a fait beaucoup de bruit, mais celle des «viandes et substituts» est tout aussi frappante. Toutes deux ont été fondues dans un nouveau sous-groupe baptisé «aliments protéinés». Même les «produits céréaliers», dont le Canada est un gros producteur, ont été remplacés par des «aliments à grains entiers».

Bref, le Ministère s'est affranchi des pressions économiques pour se recentrer sur sa véritable mission, la santé. On ne peut que s'en réjouir, d'autant que son message y a gagné en clarté.

Des exemples?

«Restez vigilant face au marketing alimentaire.»

«Les boissons sucrées et les produits de confiserie ne devraient pas être consommés sur une base régulière.» Pas plus que «les aliments et boissons transformés ou préparés qui contribuent à une consommation excessive de sodium, de sucres libres ou de lipides saturés».

«Les viandes transformées, les aliments frits, les céréales à déjeuner sucrées, les biscuits, les gâteaux [...] et plusieurs mets prêts-à-réchauffer» en font partie. «Les jus de fruits 100% purs, de même que les divers laits et boissons de soya enrichies sucrées» aussi.

Rien de très subversif, direz-vous. Justement, un document gouvernemental censé promouvoir la saine alimentation ne devrait pas avoir peur de souligner de telles évidences. Le ton des précédents guides, beaucoup plus timide, en affaiblissait le message.

Hélas, si le Ministère a pris une saine distance avec l'industrie, il s'est égaré ailleurs. Comme s'il avait remplacé le parti pris commercial par un parti pris idéologique.

«Il faudrait célébrer les pratiques culturelles liées à l'alimentation» en organisant «des événements communautaires où on célèbre avec des aliments ethniques», indiquent les lignes directrices. Si encore c'était présenté comme une façon de découvrir de nouvelles recettes de légumineuses... Mais non, aucun lien avec la santé. Les traditions culinaires, c'est bien joli, mais il faut reconnaître que plusieurs, à commencer par la poutine, ne sont pas très compatibles avec le Guide. En les sacralisant sans explication, celui-ci sort complètement de son sujet.

La section sur l'environnement n'est pas mieux. Qu'une réduction du gaspillage et de la consommation d'ingrédients d'origine animale puisse être bénéfique, on veut bien. Mais encore là, le document ne fait aucun lien avec la santé des Canadiens. Il se contente d'énumérer une série de facteurs qui... compliquent l'évaluation de l'impact environnemental des choix alimentaires. Ne suivez pas le Guide, il ignore lui-même où il s'en va!

***

Ce document, aussi indépendant soit-il, ne peut pas tout faire. Pour qu'il soit utile, il faut convaincre la population de s'en inspirer et s'intéresser aux gens qui n'en ont pas les moyens.

Le fédéral et les provinces sont-ils vraiment convaincus qu'une saine alimentation peut réduire les risques de maladies cardiovasculaires, d'hypertension, de diabète de type 2, de certains cancers - et les coûts de santé qui s'ensuivent? Dans ce cas, les gouvernements doivent faire preuve de cohérence et se demander ce qui peut être fait pour améliorer l'accès à une alimentation de qualité, notamment pour les enfants et les adolescents.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion