Que diriez-vous de vous faire réveiller toutes les nuits, parfois à plusieurs reprises, alors que vous avez du mal à vous rendormir ? Ne préféreriez-vous pas qu'on vous laisse tranquille ? C'est ce qu'on pensait.

En centre d'hébergement et de soins de longue durée (CHSLD), hélas, c'est pratique courante. Près de 85 % des résidents se font réveiller pour une intervention, et ce, au moins deux fois par nuit, a-t-on constaté dans un centre*. Et pour les laisser dormir, il faut revoir l'organisation du travail de fond en comble. Ça donne une idée de l'ampleur de la tâche à accomplir pour rendre tout le reste agréable...

Le modèle de maison des aînés prôné par la CAQ est inspirant. Mais on ne peut pas attendre après ça pour améliorer la qualité de vie en CHSLD. Il faut s'y attaquer immédiatement, et résolument.

Des résidants laissés au lit pendant 36 heures d'affilée, dont le bain hebdomadaire est régulièrement reporté, et les soins buccaux omis... Ces exemples fournis par la protectrice du citoyen dans son dernier rapport annuel donnent froid dans le dos. Non, ce n'est pas comme ça partout, loin de là. Mais ces constats sont trop familiers pour être ignorés.

Quand on en est rendu à parler de « maltraitance organisationnelle ». Quand une demande d'action collective est déposée en cour sans que ça paraisse tiré par les cheveux.

Quand le CHSLD est vu par les bien-portants comme une espèce d'antichambre de l'enfer où l'on jure de ne jamais aboutir, c'est qu'il y a toute une pente à remonter.

Depuis une quinzaine d'années, une démarche révolutionnaire a été entreprise dans plusieurs CHSLD. Après consultation des résidants et de leurs proches, on s'est aperçu, ô surprise, qu'ils souhaitaient dormir sans être dérangés la nuit.... et que réorganiser le travail en conséquent n'était pas une mince tâche.

« Le message, c'est que oui c'est faisable mais, excusez-moi l'expression, ça prend une gang de crinqués », a témoigné une conseillère en milieu de vie au fameux Forum sur les meilleures pratiques organisé par l'ex-ministre Barrette il y a deux ans.

Ça nécessite beaucoup d'ajustements. Il faut notamment revoir la médication pour éviter, autant que possible, de l'administrer la nuit, et assouplir l'horaire du déjeuner et des soins pour permettre aux résidants de se réveiller naturellement. La collaboration des syndicats est essentielle, la persévérance de la direction aussi. Le roulement de personnel ajoute au défi.

Rappelons qu'il s'agit seulement du sommeil. Ça donne une idée de l'effort requis pour tout le reste, afin qu'un établissement organisé en fonction des tâches à accomplir par le personnel se transforme en un milieu de vie pour les résidents.

Oui, l'architecture peut faire une différence. Le CISSS de Chaudière-Appalaches en a fait la démonstration à la fin des années 2000 en faisant construire deux établissements de 32 places qui, avec leurs chambres spacieuses, leurs cuisines ouvertes et leurs grandes salles à manger, ressemblent plus à de petites maisons qu'aux bâtiments prévus aux normes de l'époque.

Le modèle de « maison des aînés » promis par la CAQ pour remplacer graduellement les CHSLD est donc un pas dans la bonne direction. Mais si un nouvel environnement d'aspect plus humain et moins institutionnel peut donner le ton, l'essentiel reste à faire.

Aux CHSLD de Saint-Eugène et de Sainte-Perpétue, il a fallu décloisonner les tâches, témoigne la directrice du programme de soutien à l'autonomie des personnes âgées, Josée Chouinard. Si plusieurs préposés aux bénéficiaires trouvent valorisant d'avoir à prendre des décisions, certains ont préféré aller dans d'autres établissements où ils n'ont pas à faire des déjeuners et du ménage.

L'attachement de la ministre Marguerite Blais à la cause des aînés ne fait pas de doute. Sa collègue à la Santé, Danielle McCann, a promis d'ajouter des ressources en CHSLD et d'en valoriser le personnel. C'est encourageant, mais on en sait bien peu sur cette stratégie de « maisons des aînés », qui apparaissent seulement en 2021-2022 dans le cadre financier de la CAQ. Des constructions déjà prévues pourraient être modifiées pour ressembler davantage à des maisons des aînés, nous a indiqué la ministre responsable des Aînés. Mais pour le reste, on travaille sur un plan, et les annonces viendront plus tard.

On ne doute pas de la bonne foi de ce nouveau gouvernement. Sauf qu'on en a vu d'autres.

Quinze ans après la publication des orientations ministérielles pour « un milieu de vie de qualité pour les personnes hébergées en CHSLD », ces orientations sont loin d'être la norme dans le réseau. Et ce, même si le parti qui les a mis de l'avant a détenu le pouvoir durant l'essentiel de ces 15 ans, et que celui qui était alors ministre de la Santé, Philippe Couillard, est devenu premier ministre par la suite.

Alors non, comprendre le problème et avoir de bonnes intentions ne suffit pas. Construire des milieux de vie, c'est une belle idée, mais on ne peut pas attendre après ça pour améliorer la vie en CHSLD. Il faut s'y atteler dès maintenant, parce que ça ne se fera pas en un claquement de doigts.

* Source : M. Bigaouette, « Le sommeil réparateur de l'usager améliore la santé et la sécurité du travail », ASSTSAS, novembre 2015

Quand le sommeil devient un projet

(Respecter le sommeil des résidents pour améliorer à la fois leur qualité de vie et la santé et sécurité au travail du personnel)

Avant

65 % des résidents étaient dérangés dans leur sommeil

54 % des résidents étaient endormis au moment du petit déjeuner

98 % des résidents aptes à se prononcer ont indiqué qu'ils préféraient dormir que de se faire réveiller pour un changement de culotte d'incontinence

Après

75 % des résidents ont pu dormir sans être dérangés

Diminution des agressions de la part des résidents durant le quart de nuit, et meilleure collaboration aux soins le matin

Diminution des douleurs musculo-squelettiques chez les employés du quart de nuit

Source : C. Beaudoin, « Améliorer la qualité du sommeil des résidents et la SST », Objectif prévention, Vol. 36 No 4, 2014

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