Forcer le gouvernement québécois à interdire les tests diagnostiques au privé pour qu'il améliore son système public ? La tactique de la ministre fédérale de la Santé est peut-être bien intentionnée, mais elle est risquée pour les patients.

« Je n'accepte pas la justification que si certains patients sont disposés à payer eux-mêmes pour un accès accéléré pour ces services médicalement nécessaires, que l'on devrait nécessairement leur permettre d'y recourir », a écrit la ministre Ginette Petitpas Taylor à l'ex-ministre québécois Gaétan Barrette en août dernier.

Cette pratique, par laquelle des patients doivent payer de leur poche pour des services diagnostiques médicalement requis, contrevient à la Loi canadienne sur la santé, juge la ministre fédérale. Elle donne un peu plus d'un an pour y mettre fin, à défaut de quoi ses paiements en vertu du Transfert canadien en matière de santé seront réduits.

L'ultimatum a été adressé à toutes les provinces et territoires, mais il est particulièrement préoccupant ici, où beaucoup de patients vont au privé pour ne pas avoir à poireauter sur une liste d'attente.

Si Québec, par crainte de perdre de l'argent d'Ottawa, interdisait aux cliniques d'offrir de tels services, les patients ne disparaîtraient pas par magie. Ils viendraient tout simplement allonger les listes du réseau public.

La nouvelle ministre québécoise de la Santé, heureusement, ne semble pas d'humeur à prendre la commande au pied de la lettre. « Il n'est pas question de fermer des portes d'accès », a indiqué Danielle McCann hier.

La santé, rappelons-le, est une compétence provinciale. Et les transferts fédéraux, qui financent à peine 25 % du système québécois, ne donnent pas le droit à Ottawa de téléguider l'organisation des soins.

Mme Petitpas Taylor a toutefois mis le doigt sur un bobo bien réel. Passer un examen diagnostique plus rapidement au privé permet aussi d'obtenir des soins plus rapidement au public - une injustice, dit-elle. Ce ne sont pas les patients qui n'ont ni les moyens ni les assurances collectives pour se payer le privé qui iront la contredire ! Or, c'est de ces patients-là qu'il faut se soucier si l'on ne veut pas que l'expression « système public de santé » finisse par ressembler à une publicité mensongère.

Rogner sur les paiements est un moyen qu'Ottawa a utilisé à plusieurs reprises depuis le milieu des années 80. Le Québec, par exemple, s'est vu retenir près de 10 millions de dollars pour avoir toléré la multiplication des frais accessoires jusqu'en 2016. La somme lui a cependant été remise l'an dernier en raison des correctifs apportés.

C'est un peu la même dynamique qui s'annonce. Les provinces et les territoires ont jusqu'en avril 2020 pour faire leur ménage, mais s'ils prennent plus de temps, ils pourront récupérer leur argent plus tard. Le fédéral devra toutefois y aller mollo s'il ne veut pas causer plus de tort que de bien.

Personne n'a été capable de nous dire combien les Québécois dépensent en tests au privé, mais juste à voir les tarifs des tests d'imagerie par résonance magnétique (IRM), c'est sûrement pas mal plus que les frais accessoires. La pénalité à laquelle s'expose la province, qui sera équivalente à cette somme, s'annonce donc beaucoup plus salée. Il ne faudrait pas ça devienne un incitatif à agir de façon précipitée.

On en a eu un exemple récent avec les échographies. Élargir la couverture était une bonne décision, mais le système n'était visiblement pas prêt à faire face au tsunami de demandes qui en a résulté.

Le réseau de la santé tente depuis quelque temps de s'organiser pour faire plus d'IRM avec les appareils dont il dispose. Il ne faudrait pas que l'urgence de répondre au fédéral court-circuite ces efforts.

La ministre McCann, heureusement, dit vouloir rehausser l'offre d'IRM dans le secteur public. Tant mieux, mais son homologue fédérale s'intéresse à tous les types d'examens diagnostiques, dont la tomodensitométrie (TDM, ou scan). Et comme Ottawa n'a pas l'intention de verser un cent de plus aux provinces pour financer ces examens, il va falloir se poser des questions.

Jusqu'à 10 ou 20 % des examens d'imagerie médicale pourraient être non pertinents, suggère la recherche. Malheureusement, on n'a pas de données sur la situation québécoise. La question mérite d'être creusée, car il y a là un potentiel de dégager de la capacité pour que les patients ayant de réels besoins soient vus plus rapidement.

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