Le modèle de réglementation des marchés des capitaux pancanadien mis de l'avant par le fédéral et quelques provinces n'est peut-être pas inconstitutionnel, mais ça ne le rend pas plus souhaitable pour autant. À moins d'un an des élections fédérales, le gouvernement Trudeau ne devrait pas gaspiller de «capital politique» dans cette aventure hasardeuse.

Le régime proposé par le fédéral, cinq provinces et un territoire ne contrevient pas à la Constitution, a jugé la Cour suprême vendredi dernier.

C'est sans doute un soulagement pour les promoteurs de ce projet, élaboré après que la première mouture d'une commission pancanadienne a été rejetée par le plus haut tribunal du pays en 2011. Mais ce n'est pas le régulateur unique dont rêvait le défunt ministre des Finances conservateur Jim Flaherty, ni la réponse à cette rengaine selon laquelle le Canada est le seul pays du G20 à ne pas avoir d'organisme de réglementation de valeurs mobilières national.

L'Autorité de réglementation des marchés des capitaux (ARMC) dont il est aujourd'hui question ne sera ni unique ni nationale. Même si d'autres provinces ou territoires décidaient de s'y joindre, il manquera toujours deux acteurs majeurs. Le Québec et l'Alberta n'ont aucune intention de renoncer à leur autonomie actuelle et l'ont clairement rappelé vendredi dernier.

D'ailleurs, si les gouvernements de ces deux provinces ont été les plus farouches opposants à ce projet, ils sont loin d'en être les seules critiques.

Il n'est même pas sûr que l'ARMC qui est sur la table constitue une amélioration par rapport au système réglementaire actuel, a notamment indiqué l'Institut CD Howe dans un rapport l'an dernier. «Il serait très malheureux que l'arrivée de l'ARMC perturbe cet équilibre réglementaire et mette en danger les retombées positives et la plus grande coopération qui ont été atteintes», souligne l'Institut.

De plus, des instances qui permettent actuellement aux investisseurs de se faire entendre, comme le Groupe consultatif des investisseurs et le Bureau des investisseurs de la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario, ne se retrouvent pas dans le système proposé, déplore l'avocat Harold Geller, de MBC Law.

Ce ne sont que les exemples les plus évidents. Si l'Ontario, la Colombie-Britannique, la Saskatchewan, le Nouveau-Brunswick, l'Île-du-Prince-Édouard et le Yukon décident de concrétiser leur projet avec le fédéral, il est certain que le véhicule proposé et son fonctionnement seront soumis à un examen beaucoup plus exhaustif que celui de la Cour suprême, qui avait été appelée à se prononcer sur deux aspects précis.

On n'en est pas là. Pour des parties qui ont remporté une victoire devant le plus haut tribunal du pays, on sent même bien peu d'empressement à aller de l'avant.

Au bureau du ministre fédéral des Finances Bill Morneau, on insiste beaucoup plus sur le respect des compétences des organismes de réglementation mobilières des provinces et des territoires qui ne participeront pas à la nouvelle structure que sur le désir de mettre celle-ci en chantier rapidement.

Ce ton diplomatique tranche avec l'impression désagréable laissée par le gouvernement Trudeau au début de 2016 en décidant, peu après son arrivée au pouvoir, de reprendre à son compte ce projet divisif poussé, envers et contre plusieurs, par le gouvernement Harper.

Tant mieux pour le Québec et son Autorité des marchés financiers. Tant mieux aussi pour notre industrie financière, pour la vitalité de laquelle la Chambre de commerce du Montréal métropolitain s'inquiétait vendredi dernier. Il faut néanmoins garder l'oeil ouvert.

Le respect des provinces qui ne souhaitent pas participer à ce nouveau modèle ne peut pas se limiter à une déclaration de principe. Il devra se manifester dans la pratique.

Les autorités des provinces et territoires fonctionnent actuellement avec un système dit de passeport, par lequel elles reconnaissent leurs décisions respectives. Si jamais cette ARMC devient réalité, elle devra accepter de participer à un mécanisme au moins aussi efficace.

Oui, cette nouvelle autorité réglementaire née de la coopération de plusieurs provinces aurait un poids supérieur à celui de ses homologues des provinces ou territoires qui ont fait le choix de conserver leur autonomie, comme le Québec et l'Alberta. Mais ça ne l'autoriserait en rien à s'en servir pour les isoler et les faire plier. Ce n'est ni le modèle ni le dessein qui ont été validés par la Cour suprême.

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