Le Canada a convoqué une douzaine de membres de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) à Ottawa cette semaine. L'heure est grave : sans une intervention musclée, la cour d'appel de l'OMC sera paralysée l'an prochain. Le mini-sommet organisé mercredi et jeudi réussira-t-il à éviter le mur ?

Une crise qui en cache une autre

Trois juges : c'est le minimum dont l'organe d'appel de l'OMC a besoin pour fonctionner. Et quand deux d'entre eux finiront leur mandat en décembre 2019, il n'en restera qu'un. Comment un tribunal de sept membres en est-il arrivé là ? Les États-Unis bloquent systématiquement toutes les nominations - y compris les simples renouvellements de mandat, comme ils l'ont encore fait le mois dernier, laissant un quatrième siège vide. Le président Trump n'a jamais caché son animosité pour l'OMC. Il a même menacé de s'en retirer (air connu). Il est cependant permis de penser que ce n'est pas son premier choix. On l'a vu avec l'ALENA et avec l'accord de libre-échange avec la Corée du Sud : il y a place à la négociation.

Trump n'a pas (complètement) tort

Paralyser le tribunal d'appel pour se faire entendre ? La méthode est brutale, mais les États-Unis sont loin d'être les seuls à critiquer l'OMC, en particulier sa tolérance envers les pratiques commerciales discutables de la Chine (entreprises et banques d'État, propriété intellectuelle, transferts de technologie forcés, etc.). L'Union européenne et le Japon, notamment, ont fait une sortie commune remarquée avec les États-Unis, en dénonçant les économies qui ne suivent pas les règles du libre-marché. Et contrairement à ce que plusieurs se plaisent à croire, ce n'est pas le président Trump, mais l'administration Obama, qui a commencé à bloquer des nominations à l'organe d'appel. Cette irritation à l'égard des tribunaux internationaux, dont les décisions défavorables sont vues comme un empiétement sur la souveraineté américaine, ne date pas d'hier !

Un réel danger

L'OMC le reconnaît d'elle-même : sans moyens de régler les différends commerciaux entre pays membres, son système « ne serait d'aucune utilité, car les règles ne pourraient pas être appliquées ». Le pire est donc à craindre si son tribunal d'appel se retrouve paralysé. Pourquoi un pays accepterait-il de se conformer à une décision rendue contre lui en première instance s'il est privé de son droit légitime d'en appeler ? Sans compter qu'il devient drôlement tentant d'imposer des mesures abusives quand vous savez que les plaignants ne pourront pas être entendus jusqu'au bout. Pour une nation commerçante comme le Canada, qui a souvent recours aux mécanismes de l'OMC (y compris pour arbitrer ses différends avec les États-Unis, dont il est pourtant partenaire dans l'ALENA), c'est une perspective effarante.

Une occasion pour le Canada ?

Le Canada est donc bien placé pour proposer des réformes, fait valoir le professeur Richard Ouellet, de la faculté de droit de l'Université Laval. « Il retrouverait une place comme on la concevait sous Pearson, comme un pays qui a à coeur que les organes multilatéraux fonctionnent bien, qui crée des contextes favorisant le dialogue », expose-t-il. C'est ce que Jim Carr, le nouveau ministre de la Diversification du commerce international, tentera de faire avec la douzaine de membres de l'OMC « aux vues similaires » conviés à Ottawa mercredi et jeudi. « Mais il faut que ça aille plus loin que le système de règlement des différends, avec des réformes sur la place que peut prendre le capitalisme d'État dans un système commercial multilatéral », souligne le professeur Ouellet.

Suspense

Non, l'Australie, le Brésil, le Canada, le Chili, l'Union européenne, le Japon, le Kenya, la Corée du Sud, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, Singapour et la Suisse ne régleront pas la crise à Ottawa cette semaine. Mais à l'heure où le monde entier s'inquiète des dommages collatéraux de la guerre commerciale Washington-Pékin (le FMI en a même réduit ses prévisions de croissance), l'initiative ne passe pas inaperçue. Tout le monde le reconnaît, l'OMC a sérieusement besoin de réformes. Il ne faudra pas avoir peur des remises en question - y compris sur le fameux mode de prise de décision à l'unanimité qui, dans les faits, donne un droit de veto à chacun des 164 membres, favorisant les blocages plus qu'autre chose.

Photo Sean Kilpatrick, La Presse canadienne

Jim Carr, ministre de la Diversification du commerce international

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