Le Québec a une voix au chapitre en matière d'accords de commerce international. Toutefois, le premier ministre qui tenterait de bloquer un nouvel Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) ratifié par le Canada s'aventurerait en territoire inconnu.

« J'ai dit il y a quelques jours que je bloquerais la ratification par le Québec », a lancé Philippe Couillard au débat des chefs jeudi. Mais interrogé sur la façon dont la province pourrait bloquer un accord qui compromettrait la gestion de l'offre, le premier ministre a rétropédalé : « Le bloquer, le terme est trop fort, mais manifester notre opposition de deux façons. »

Ce n'est pas la première fois que le chef libéral s'emballe dans ce dossier. « Just watch me », a-t-il déclaré à la fin août, reprenant ainsi la réplique de Pierre Elliott Trudeau avant l'adoption de la Loi sur les mesures de guerre, en octobre 1970.

Les chefs des deux autres principaux partis ne sont pas en reste.

« Jamais un gouvernement de la CAQ ne va faire la moindre concession sur la gestion de l'offre », a déclaré François Legault au débat. Le chef du PQ, Jean-François Lisée, entend pour sa part exiger une pleine compensation du fédéral.

Leurs déclarations risquent de les rattraper après le 1er octobre, car Justin Trudeau s'est dit prêt à faire preuve de flexibilité sur les produits laitiers sous gestion de l'offre.

Et en cas de gouvernement minoritaire, les partis de l'opposition aussi seront interpellés - ils ne pourront pas simplement s'abstenir comme 24 députés l'ont fait lorsque l'Assemblée nationale a approuvé l'accord canado-européen.

Un ALENA jugé inacceptable par les producteurs et les transformateurs laitiers québécois ne sera pas déposé à l'Assemblée nationale, ont promis les trois partis à l'Union des producteurs agricoles. C'est le premier moyen par lequel Philippe Couillard prévoit manifester son opposition. Le second serait d'étudier les textes pour « voir s'il y a des moyens juridiques de retarder et même de bloquer cette entente ».

Effectivement, le Québec est la seule province où les traités internationaux doivent être soumis à l'Assemblée nationale. Un gouvernement qui refuserait de le faire enverrait donc un signal retentissant à Ottawa. Mais ça ne lui donne pas pour autant un droit de veto. Le fédéral a les pleins pouvoirs en matière de conclusion des traités et la responsabilité exclusive du commerce international, souligne le professeur Stéphane Paquin, de l'École nationale d'administration publique.

Le refus de soumettre l'ALENA à l'Assemblée nationale serait donc symbolique.

C'est plutôt à l'étape suivante, lorsque les provinces sont appelées à adapter leurs lois pour permettre la mise en oeuvre d'un accord, qu'un refus du Québec pourrait enquiquiner sérieusement Ottawa.

On ne s'est jamais rendu là. Un premier ministre qui tenterait le coup s'aventurerait en eaux inconnues.

Si le but est de convaincre le fédéral d'indemniser correctement les producteurs de lait pour les parts de marché cédées aux États-Unis et au Mexique, comme l'a évoqué le chef du PQ, ça peut être jouable. Le fédéral ayant toujours promis de compenser les concessions à la gestion de l'offre, il s'agirait de l'amener à le faire de façon satisfaisante, contrairement à ce qui s'est fait après l'accord Canada-UE. Pas évident, mais pas impensable.

Par contre, refuser toute concession sur la gestion de l'offre, comme le promet François Legault ? Bonne chance !

Vu le climat des négociations, on imagine mal le gouvernement Trudeau retourner à Washington pour essayer de reprendre le terrain qu'il aurait cédé.

Certes, un refus du Québec de mettre en oeuvre les parties de l'accord qui le concernent serait un cauchemar pour le fédéral puisque c'est lui qui, face à ses partenaires étrangers, est responsable de l'application des traités. Ottawa n'a jamais eu à gérer une mutinerie provinciale, mais il a eu à défendre des mesures adoptées par les provinces devant des tribunaux, et à verser des dédommagements.

Mais là encore, on n'imagine pas le fédéral se porter docilement à la défense d'un Québec qui aurait refusé son accord en bloc. Non seulement l'agriculture est une compétence partagée, mais pour préserver les producteurs québécois de l'impact d'éventuelles concessions laitières, il faudrait que ceux des autres provinces en assument tout le poids. On nage en pleine science-fiction !

Le défi du futur ALENA n'est pas à sous-estimer, car d'autres demandes américaines, comme l'allongement de la protection intellectuelle pour les médicaments biologiques, pourraient coûter cher au Québec. À défaut d'avoir un droit de veto, le prochain premier ministre devra tenir son bout pour convaincre le gouvernement Trudeau de minimiser les effets de ses concessions ici.

Photo Edouard Plante-Fréchette, Archives La Presse

« Si le but est de convaincre le fédéral d'indemniser correctement les producteurs de lait pour les parts de marché cédées aux États-Unis et au Mexique, comme l'a évoqué le chef du PQ, ça peut être jouable », estime Ariane Krol.

PHOTO MATHIEU WADDELL, ARCHIVES LA PRESSE

« Si le but est de convaincre le fédéral d'indemniser correctement les producteurs de lait pour les parts de marché cédées aux États-Unis et au Mexique, comme l'a évoqué le chef du PQ, ça peut être jouable », estime Ariane Krol.

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