L'Association des chirurgiens dentistes du Québec ne s'en cache pas : elle espère ne pas avoir à mettre sa menace à exécution. On le lui souhaite. Refuser la carte d'assurance maladie des enfants et des assistés sociaux couverts par le régime public, comme près de 2000 de ses membres ont signifié leur intention de le faire à partir de la fin août, est une tactique indéfendable.

Le président de l'association, le Dr Serge Langlois, l'a répété sur toutes les tribunes hier. Il préférerait de loin en arriver à une entente négociée avec le ministre de la Santé d'ici 30 jours afin que les Québécois dont les soins dentaires sont couverts par la Régie de l'assurance maladie du Québec (RAMQ) ne soient pas privés de services.

Ce serait une répétition du scénario qui s'est joué il y a 10 ans alors que quelque 2500 dentistes s'étaient progressivement désaffiliés du régime public durant un peu plus d'une semaine. Les Québécois assurés qui voulaient avoir accès à leurs services durant cette période devaient payer de leur poche, puis demander un remboursement à la RAMQ. Du moins, c'est ce qui était prévu. Dans les faits, plusieurs patients ont sans doute reporté leur rendez-vous plutôt que d'avancer des sommes qu'ils n'avaient pas.

La clientèle en jeu, rappelons-le, est composée d'enfants de moins de 10 ans ainsi que de prestataires d'une aide financière de dernier recours et des personnes à leur charge.

Que des patients jugés assez vulnérables pour être couverts par le régime public puissent faire les frais de cette négociation est proprement choquant.

D'autant que les dentistes qui se désaffilieront, eux, ne risquent pas grand-chose. Si l'on exclut les urgences, qu'ils promettent de continuer à traiter, les rendez-vous annulés finiront par leur revenir, probablement au tarif bonifié qu'ils auront négocié.

Ce scénario détestable a heureusement peu de chances de se produire. L'arrêté ministériel visant à suspendre le droit de désaffiliation est signé et doit entrer en vigueur incessamment, a indiqué le ministre de la Santé hier. Espérons qu'il reste en vigueur jusqu'à ce que les parties réussissent à s'entendre. Il ne faudrait pas répéter le petit jeu de 2008, alors que les progrès des négociations avaient incité le gouvernement à retarder l'application de son décret, laissant les assurés en suspens durant plusieurs jours.

La situation est d'autant plus critique que le mouvement promet de s'étendre.

Des quelque 3600 dentistes acceptant les patients assurés à la RAMQ, « la grande majorité » ont confirmé leur intention d'envoyer leur préavis de retrait de 30 jours, indique leur association.

Les dentistes pourraient aussi tenter de faire invalider l'arrêté ministériel devant les tribunaux, comme l'a fait l'Association des optométristes en février dernier. Ces derniers avaient soutenu que le gouvernement ne pouvait pas suspendre leur droit de se retirer du régime public, car son pouvoir s'appliquerait seulement aux médecins. La question, malheureusement, n'a jamais été tranchée, car les parties ont réussi à s'entendre juste avant la date d'audition devant le juge.

Aucune information vérifiable n'ayant filtré de la négociation, nous nous abstiendrons ici de donner raison ou tort à l'une ou l'autre des parties. Un élément, toutefois, mérite d'être souligné.

Contrairement aux différents professionnels de la santé à l'emploi du gouvernement, qui doivent souvent se contenter de moyens de pression symboliques, les dentistes en cabinet privé ont la possibilité de perturber l'accès à leurs services. C'est ce que près de 2000 d'entre eux se proposent de faire dans 30 jours, et des centaines de leurs confrères envisagent de leur emboîter le pas. Soyons clairs : possible n'est pas synonyme d'acceptable.

Les dentistes devraient se trouver d'autres moyens de pression moins inquiétants pour les centaines de milliers de Québécois qui dépendent de leurs services.

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